fbpx

A todos nos gusta el plátano

journaliste
Auteur(e) : Inès Edel-Garcia

Publié le 1 avril 2022

Rubén H. Bermúdez : “Je leur ai demandé de partager leur intimité avec moi et avec le public”

Entre 2018 et 2020, Rubén H. Bermúdez a réalisé son premier documentaire intitulé “A todos nos gusta el plátano” (2021), un film amateur basé sur l’auto-représentation où “sept personnes noires jouent à essayer de faire un film”. En résulte une collection de scènes quotidiennes où l’on voit des gens cuisiner, manger, se maquiller en chantant, passer de bons moments avec leur famille, tomber amoureux, exprimer leurs craintes… Un “chant à la vie” dans lequel le réalisateur a cherché à se démarquer de son œuvre antérieure, le très personnel livre-photo Y tú ¿por qué eres negro ? (2017). L’artiste afro-espagnol explique ici avoir voulu éviter de s’enfermer dans des discours de lutte anti-raciste pour contribuer au contraire à faire émerger de nouveaux récits. Le film a été présenté dans le cadre de l’exposition “Contra la Raza” qui s’est tenue à Madrid entre les mois de juin et novembre 2021. Il a également été récompensé lors de la dernière édition du festival international de cinéma Documenta Madrid. 

Quel a été le point de départ de ce film ? 

L’idée de ce film m’est venue après une visite au musée CA2M à Móstoles, près de Madrid, où j’ai pu voir “Love is the message, the message is Death d’Arthur Jafa. Il s’agit d’une vidéo de huit minutes environ avec des images d’archives aux origines et aux formats différents et avec un rythme frénétique voire tortueux. L’intrigue n’est pas vraiment définie mais en tout cas, ça parle de la population noire aux Etats-Unis. J’ai été très ému et complètement fasciné. 

Je suis sorti du musée avec une seule idée en tête : “Je veux faire un film !”. Je me suis dit que j’étais capable, techniquement, de faire quelque chose de similaire, que je pouvais essayer de le copier et de voir ce qu’il en ressortait. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à me poser des questions : qu’est ce que je veux raconter ? comment je veux le raconter ? Dans le dossier que j’ai constitué pour obtenir des financements, j’ai dit que je voulais “faire un film qui amplifie, mette en tension et enrichisse le projet “Y tú, ¿por qué eres negro? ». 

J’ai finalement bénéficié d’une bourse. Dans un premier temps, j’ai visionné de nombreux films et j’ai beaucoup lu sur le cinéma. J’ai aussi interrogé des personnes sur ce qu’elles voulaient voir et ne voulaient pas voir. La plupart souhaitait avant tout rire et s’amuser. La grande majorité des gens voulait aussi que je m’affranchisse des histoires de racisme, de lutte, de souffrance ou de résistance. J’ai essayé d’en tenir compte et je me suis tenu à cette idée jusqu’au bout.

Le film est résolument une œuvre collective, collaborative. Comment avez-vous travaillé avec les différentes personnes qui participent à ce film ? 

La fabrication du livre-photo a été un travail assez difficile, stressant et solitaire. C’est pourquoi, quand j’ai commencé à réfléchir à l’idée de faire un film, j’avais en tête que ça devait être quelque chose d’agréable et d’amusant. De plus lumineux. Je voulais que ce soit un exercice collectif et sans pression. 

Tiffany, l’une des créatrices du film, a été la première à offrir son aide après avoir pris connaissance de mon livre. Puis, nous avons peu à peu ouvert le récit pour finalement former un groupe de 6 à 10 personnes. 

Quelles consignes leur avez-vous donné exactement ? 

Je leur ai demandé de partager leur intimité avec moi et avec le public, jusqu’où ils le souhaitaient et avec toujours la possibilité de revenir en arrière. J’ai essayé de les laisser faire de façon à ce que chaque personne trouve son rythme. En ce sens, j’ai été amené parfois à accepter les changements ou les accidents qui se présentaient à nous. À partir de là, quelque chose a commencé à se construire et cela a fini par devenir le film. 

Au total, combien d’heures de vidéo vous ont été remises ? 

C’était très inégal. Par exemple, Tiffany m’a transmis des centaines de gigas de vidéos contre huit clips seulement pour Agnes. Chaque personne s’est impliquée dans le projet à la hauteur qu’elle le souhaitait et je crois que ça a fonctionné. 

Les personnes m’ont fourni la matière et m’ont fait confiance. J’ai ensuite travaillé seul sur le montage, et les personnes n’ont vu le résultat final que le jour de la première projection. Ce fut un moment très émouvant ! 

Comment définiriez-vous le film ? Peut-on le qualifier de cinéma amateur ? 

Le synopsis dit que “sept personnes noires jouent à essayer de faire un film”. J’aime cette définition. Je ne sais pas si c’est un film amateur, même si c’est aussi un terme qui me plait, mais en tout cas, c’est certain que c’est un film indépendant, réalisé avec très peu de moyens. 

À part Arthur Jafa, quelles sont vos sources d’inspiration en matière de cinéma amateur ou expérimental ? 

Parmi mes référents les plus importants, on trouve Claudia Claremi, Luis López Carrasco ou encore Agnes Essonti. J’ai aussi découvert le livre Xcèntric Cinema dans lequel sont interviewés des cinéastes expérimentaux. Cela m’a beaucoup aidé. 

Qu’est-ce qui vous a inspiré dans le travail des personnes que vous venez de citer ? 

Claudia Claremi fait un cinéma merveilleux avec très peu de moyens. Au tout début, elle m’a laissé un disque dur avec un tas de films qui l’inspiraient. À l’intérieur, il y avait un dossier intitulé “Cinéma collectif” qui a été crucial pour le devenir de notre projet. J’aime aussi beaucoup son film “El Monte o Centella”.

Quant à Luis López Carrasco, il venait de remporter un Goya [ndlr : l’équivalent des Césars en Espagne] pour son film “El Año del Descubrimiento”, même si “El Futuro” reste, pour moi, son film le plus impactant. Je l’ai vu de nuit, seul, sans savoir ce que j’allais voir et ce fut une expérience fascinante. Je me suis dit que le film que j’étais en train de faire devait essayer de s’en rapprocher. 

Et enfin, il y a Agnes Essonti, qui a participé à “A todos nos gusta el plátano”. C’est une créatrice afro-espagnole dont je partage les préoccupations. Je trouve son travail vraiment fantastique. 

Quel était le message que vous vouliez faire passer avec ce film ? S’agissait-il de représenter différemment la communauté afro ? De mieux la représenter ? 

Avec internet et les dispositifs mobiles, on voit bien que toute la question de la représentation est en train d’exploser. Aujourd’hui, nous pouvons raconter nos propres histoires parce que nous avons voix au chapitre et parce que nous en sommes capables. Chaque jour, nous sommes encore plus nombreux. Je crois que c’est imparable. Il se peut donc que le film parle d’auto-représentation mais ce n’était pas mon intention principale. 

Je dirais que le message est le film lui-même. Si j’avais dû raconter ce que je voulais dire avec ce film, il aurait mieux valu ne pas le faire. Je crois que c’est une œuvre ouverte avec plein d’interprétations possibles. Beaucoup de gens me disent que son visionnage est agréable, d’autres qu’ils se sont ennuyés. Une fois, on m’a dit que regarder “A todos nos gusta el plátano” était comme manger une mangue. Ça m’a beaucoup plu ! 

Propos recueillis le 4 février 2022 par Inès Edel-Garcia 

Voir la bande-annonce 

Découvrir le site internet de Rubén H. Bermúdez 

Actualité : Le documentaire “A todos nos gusta el plátano” (61’) est actuellement distribué par Begin Again Films. Il est disponible sur la plateforme espagnole Filmin.