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Projet NOOTO : ノート

#2 / Départ.
Auteur(e) : Camille et Sonny

Publié le 17 avril 2023

ノート / #1 / PROJET NOOTO.

03/04, 18:10 (GMT+1)

Un carnet, un cahier, un bloc-note aussi, un brouillon surtout.
Un voyage au Japon avec 4 + 1 yeux, 4 + 2 oreilles et 10 x 15 m à parcourir.
Mettre le regard en question ; des images préexistantes contre celles que nous n’imaginons pas, et avec celles qui manquent déjà. Tourner des images en Super 8 comme on voyage. Une machine sait-elle qu’elle voyage ?

 

ノート / #2 / DÉPART.

13/04, 18:30 (GMT+9)

 

ノート / #3 / CONTRE-JOUR.

16/04, 14:20 (GMT+7)

Tokyo. Après une journée pluvieuse à Asakusa, le regard est aspiré par ce qui brille et se reflète. A proximité, dans l’une des arcades qui canalisent le jour le mouvement des touristes, on peut entendre contre ce qui s’exhibe le bruissement des cartons qui forment pour la nuit la demeure de ceux qui n’en ont pas. A la même heure, aux abords de l’auberge, le quartier Taito résonne des fracas du charriot que le vagabond remplit des canettes qui attendent devant les commerces le ramassage des ordures. Sa géographie n’est pas la nôtre. Evitant soigneusement l’éclairage nocturne des artères principales, il sait peut-être mieux que quiconque l’emplacement des bars et des restaurants, mais pour de tout autre raisons.

 

ノート / #4 / SAGI SUR LE SEUIL.

24/04, 11:25 (GMT+7)

Kyoto. A l’heure du déjeuner un héron s’invite sur le seuil. L’architecture du lieu ne permet de savoir s’il est déjà entré ou encore à l’extérieur. Aurions-nous nous-mêmes déjà les pieds dans l’eau du ruisseau qui jouxte le restaurant ? Le lieu, de même qu’il évite les portes, ne comporte de cuisine clairement séparée de la salle à manger – à l’instar de la majorité des établissements nippons. De l’Orient vers l’Occident la cuisine ouverte se transforme en concept – fétichisme de la marchandise. Lors de la réservation, nous avions demandés si nous pouvions être installés à proximité du chef ; les gestes de découpe et le dressage des assiettes jouxtant la consommation, le regard se régalerait de ce qui se préparerait. La demande a pu sembler étrange tant l’agencement du lieu n’exhibe ni ne cache la cuisine comme travail. Les plats ne surgissent pas comme par magie d’un espace maintenu à l’écart, pour autant leur confection n’est guère jetée en pâture au regard ; c’est très commun en réalité, suffisamment en tout cas pour indiquer une différence dans le déplacement de la cuisine ouverte vers la gastronomie occidentale. D’un côté il s’agit de tout montrer ; de l’autre, il n’y a rien à cacher. C’est a priori la même chose mais c’est fondamentalement différent. Ici le travail est immédiatement lié à la consommation, là le spectacle s’invite et se paie. Le héron qui surgit au menu repart tout aussi naturellement qu’arrivent devant nous chacun des mets, sans qu’il nous soit possible d’identifier quelque espace scénique.

 

ノート / #5 / SELFIE.

26/04, 22:50 (GMT+7)

Osaka. La lumière électrique baigne les passants des ponts célèbres qui enjambent le canal Dotonburi dans la quartier de Namba. Les façades y présentent au consommateur plus d’écrans et d’animations qu’il n’est possible d’en regarder. Des plus anciennes aux plus récentes, du mécanisme vieillissant d’un crabe automate aux images numériques des écrans LED,  il est désormais difficile de bien savoir qui ou quoi, de la foule ou des enseignes publicitaires, attire l’autre. La multitude des écrans des téléphones tournés vers soi et la publicité s’accorde aux panneaux qui font de la ville un écran. C’est que le lieu comporte un charme désuet, l’actualité de ce qui par son gigantisme s’annonçait publiquement, à grand frais et avec éclat, à la masse des consommateurs. L’intelligence des appareils braqués contre les enseignes s’en moquent certainement. A deux pas de l’enfilade des ponts sous lesquels circulent d’autres publicités déguisées en bateaux, l’écran d’une façade affiche à intervalles réguliers les images enregistrées en direct de qui se tient face à l’enseigne. Ainsi s’amuse-t-on du regard désincarné d’une caméra par lequel quiconque se voit diffusé non loin des stars ou des marchandises phares du moment, à taille et résolution modestes toutefois ; l’humilité reste de rigueur.

 

ノート / #6 / AUTANT EN EMPORTE LE VENT.

29/04, 14:35 (GMT+7)

Yoggogawa. Une unique route parcourt le pourtour de l’île de Yakushima qu’occupe en son centre une dégringolade de sommets. On ne parvient à s’y perdre, s’il le fallait vraiment, qu’en quittant la marge. La végétation qui recouvre l’entièreté du relief dissimule à distance un terrain qui n’est qu’accident. En dehors du panorama la réalité est bien plus chaotique. S’y révèle une autre temporalité depuis laquelle les idées de stabilité et d’arrêt apparaissent comiques. Ça bouge et ça se dérobe. Ne pas croire qu’il serait possible de fixer cela ni quoi que ce soit ; il y manque nécessairement quelque chose et c’est de cela dont il est question. A proximité d’un des nombreux torrents qu’assurent des pluies quasi quotidiennes, l’enregistrement sonore du flux s’ébrèche du vent irrégulier qui s’engouffre dans la vallée. Il aurait suffi d’une bonnette qui était pourtant à portée de main. C’est autrement mieux ainsi, le bruit exprime plus fidèlement la réalité. C’est de cela dont il est question.

 

ノート / #7 /FENÊTRES PÉRIMÉES.

30/04, 11:30 (GMT+7)

Kyoto. Chaque 21 du mois, il y a au Toda-Ji un marché avec de nombreux antiquaires. Aux abords de la célèbre pagode à cinq étages se côtoient porcelaines centenaires, revues pornographiques quinquagénaires, jouets désuets et parfois désarticulés, estampes cent fois aperçues, contenants défraichies, et tant d’autres objets dont l’usage-même nous reste inconnu. C’est l’occasion de recueillir un peu de cette poussière qui a pour les doigts la rusticité de certains vins sur la langue. La fraicheur  qui émane de quelques stands alimentaires constitue autant d’entraves à l’atmosphère dominante ; imaginerait-on se goinfrer de friandises du siècle passées, de brochettes convoitées à hauteur du délai de dépassement de la date de péremption ? ; mais puisque alors la valeur d’usage passe au second plan, on s’enrichirait demain de la tarte d’avant-hier. Deux hommes vendent des objets liés à la guerre sur fond d’une musique correspondante : boîtes en étain, munitions, casques, lames, etc. Le regard se porte sur des photographies en vrac. Outre la belle image d’un rassemblement en bord de mer au format panoramique, s’y trouvent des photographies de famille, un peu de tout, surtout du quotidien, et deux images qui présentent en leur centre un écran de télévision.  L’éclairage ambiant de l’une laisse apercevoir à l’arrière-plan le quadrillage du shoji de l’habitat nippon, cette cloison mobile qui jamais tout à fait ouvre ou ferme l’espace. De l’écran surgit une lumière dont l’éclat étrange le clair-obscur plus nuancé des intérieurs japonais. En guise de décoration ou de protection du meuble nouveau on a apposé sur le dessus de l’appareil un morceau de tissu. En son bord inférieur droit, le cadre découpe quelques doigts d’une main qui certainement règle l’image. S’agirait-il de l’autre main de celui qui règle doublement l’image, et celle de l’appareil photographique, et celle de la télévision ? Apprêter l’image télévisée à l’arrêt photographique ? La main enfonce dans l’image le coin par lequel intervient le brin de subjectivité suffisant pour dire la quotidienneté du dispositif télévisuel : l’image à la première personne d’une fenêtre qui jamais tout à fait n’ouvre ni ne ferme l’espace. Dans l’autre photographie, au contraire, l’image affichée par le poste de télévision refoule l’espace ambiant, à peine le poste lui-même se laisse deviner. Clairement visible désormais, l’image de la télé soustrait alors l’espace qui l’accueille.

Ces deux images en convoquent bien d’autres, plus ou moins connues. Dès les premières secondes du film en Super 8 qu’il réalise lors de son voyage au Japon, René Verquin s’arrête longuement, en quelques plans, sur un écran de télévision. En dehors du film de famille, Chris Marker et Wim Wenders, l’un et l’autre dans une attitude différente voire opposée, orientent régulièrement leur caméra vers les écrans qui habitent Tokyo et ses vitrines. Aujourd’hui, peut-être passés de mode, on n’expose plus ainsi les écrans, non qu’ils aient disparu, loin s’en faut. La caméra permettra peut-être de rassembler ce qui s’est diffusé.

« Tokyo 1977 », René Verquin