Publié le 15 novembre 2024
« Ghislain Lesaffre ou la passion des défis »
Pour prolonger la série de podcasts réalisés autour de la Chicorée Leroux et apporter à notre investigation historique une perspective contemporaine, nous nous sommes entretenus avec Ghislain Lesaffre, actuel propriétaire de l’entreprise. Il a évoqué les épisodes qu’il a écoutés, comme « bien faits, très réels et dynamiques ».
Notre thème du « Jeu des 7 familles » a trouvé là un prolongement inespéré, puisque le goût et l’implication dans l’agroalimentaire est aussi pour Ghislain Lesaffre une affaire familiale. Une autre branche de cette famille est d’ailleurs très connue pour la fabrication de levure.
❧ Lesaffre avant Leroux
« Avant « Chicorée Leroux », j’ai été propriétaire pendant 13 ans de l’entreprise Chocmod (Chocolaterie Moderne) qui fabrique des truffes et les oursons guimauves en chocolat. Cette entreprise, basée à Roncq, près de Lille, travaillait à l’international et vendait beaucoup en Amérique du Nord. En 2010, avec mon associé, nous avons pris la décision d’ouvrir une usine au Canada. Je suis parti avec mon épouse et mes enfants, je devais initialement rester trois ans pour ouvrir l’usine, recruter le personnel, les former… je suis finalement resté 10 ans. C’était à la fois un passionnant projet professionnel et un magnifique projet familial. »
En 2020, la famille revient en France, dans sa région d’origine, les Hauts-de-France. Pensant « avoir fait le tour » de cette activité, Ghislain Lesaffre et son associé décident de revendre l’usine, ce qui se concrétise en 2021.
A la recherche – toujours dans l’industrie agro-alimentaire – d’une entreprise à forte implantation régionale, et soucieux de fabriquer « un produit qui ait du sens », Ghislain Lesaffre s’intéresse à la Chicorée Leroux.
❧ Pourquoi Leroux ?
« La Chicorée Leroux cochait toutes les cases : production régionale, forte notoriété, entreprise familiale, outil industriel, produit alimentaire, ventes sur tous les continents… C’est un produit un peu magique, qui m’a attiré, parce que sain, bénéfique pour la santé et peu transformé. Ce qui m’a intéressé aussi, c’est la gestion de la filière de A à Z : très en amont, on gère la récolte dans le cadre d’un fidèle partenariat avec plus de 200 agriculteurs avec lesquels on travaille depuis de très nombreuses années. De la récolte jusqu’au conditionnement et à la commercialisation du produit final, toute la chaîne de valeur de la chicorée passe par nos deux usines de Vieille-Eglise et d’Orchies*. Ce phénomène est assez rare en général et unique dans la chicorée. »
❧ Le « retournement » de l’entreprise
Le 21 juin 2022, « en même temps que l’été et la fête de la musique ! », dit-il, Ghislain Lesaffre rachète La Chicorée Leroux.**
« J’avais envie d’une entreprise qui ait une forte implication dans la RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale), d’un produit santé, naturel, à développer et à redécouvrir. Il faut savoir que boire une tasse de chicorée, c’est quatre fois moins d’émission de CO2 qu’une tasse de café. Pour moi cela a du sens, je voulais une entreprise de transformation agroalimentaire, mais sur des produits sains.
C’était une entreprise en mauvaise santé financière, en déclin, il y avait un vrai challenge à la redresser, parce qu’elle était malheureusement vouée à disparaître, ce qui est dommage pour une entreprise qui a 165 ans d’existence. C’était un vrai défi personnel et professionnel. »
Ghislain Lesaffre estime qu’après ces deux années, la tendance s’est inversée, avec l’aide de toutes les équipes, et qu’aujourd’hui l’entreprise redevient « pérenne et rentable ».
« On est reparti pour … combien de temps ? Mon rôle, c’est de faire que la chicorée Leroux passe ses deux cents ans, ce sera sans moi, mais ce n’est pas grave ! Je serai, j’espère, un maillon de la chaîne qui aura contribué à ce que cette entreprise centenaire arrive à ses 200 ans. Ce serait une belle réussite. »
❧ L’actualité économique et le rayonnement de Leroux
Actuellement l’entreprise réalise 50% de son chiffre d’affaires dans l’hexagone et 50% en exportation.
« On travaille beaucoup avec l’Afrique. » Est-ce un paradoxe, les pays d’Afrique étant de gros producteurs de café ? « Ils produisent du café qu’ils exportent et importent de la chicorée !»
L’entreprise exporte également vers les Etats-Unis, le Canada et l’Europe.
« Chicorée Leroux est très importante pour Orchies et dans le paysage économique de la région, puisqu’en gérant toute la filière, on fait travailler 200 planteurs, et beaucoup d’emplois directs*** et indirects. Et c’est une fierté gastronomique française, qui fait partie du patrimoine régional.
❧ Les défis de demain
« La chicorée ? Ah oui, je connais… ma grand-mère en buvait, il y en avait dans son placard, entend-on souvent ! Le défi de demain est d’en faire un produit transgénérationnel, de réussir à capter les consommateurs qui ont 30-40 ans, et ne connaissent pas le produit. Cette tranche d’âge est très attentive aux valeurs du produit, local et donc moins cher, « RSE », qui ne pollue pas, peu transformé, sans caféine, riche en fibres. Aujourd’hui on a évolué en faisant des recettes plus gourmandes : arômes cacao, café, goût noisette, caramel ou encore vanille, produits solubles, faciles à utiliser, Quand on fait goûter le produit, les jeunes aiment bien. Le défi est de le faire connaître.»
La préoccupation de séduire les jeunes était déjà présente dans les propos publicitaires des années 70, entendus dans les podcasts. C’est comme si ce défi de plaire à la jeunesse était à relancer en permanence. Les préoccupations environnementales de la jeunesse aujourd’hui répondront peut-être mieux à ce désir.
« Il y a un bel avenir pour la chicorée et pas seulement dans la boisson »
La chicorée a d’autres débouchés. Elle intéresse, grâce à sa teneur en fibres, les fabricants d’aliments pour animaux domestiques.
« Vendre l’ingrédient à des industriels qui ajoutent de la chicorée à leur formule de produit, c’est une activité en fort développement. »
Grâce à son département « recherche et développement », en partenariat avec les universités de Lille, l’entreprise travaille pour de nouveaux débouchés.
« Il y a dans la chicorée des molécules très intéressantes, très recherchées notamment en cosmétique pour l’hydratation de la peau.
Mais sont également envisagées des applications culinaires, dans la boulangerie, la viennoiserie, la pâtisserie, pour un pain riche en fibres, très recherché. Également comme colorant naturel, la chicorée naturellement sucrée peut remplacer le caramel.
Le produit chicorée se réinvente et a de belles perspectives. C’est la vision qu’on essaie de mettre en place chez Leroux, pour les dix prochaines années. »
Propos recueillis par Rosine Lefebvre le 4.10.24
*L’usine de Vieille-Eglise (Pas-de-Calais) récupère les racines de chicorée, les nettoie, les coupe et les sèche, et en fait des cossettes. C’est la première partie du process. L’usine d’Orchies (Nord) effectue la deuxième transformation : torréfaction et fabrication des trois produits, en grain, liquide, soluble. La combinaison de ces deux usines Leroux fait que de l’amont à l’aval, toute la filière est gérée jusqu’au conditionnement.
** L’entreprise gardera son caractère familial à taille humaine, puisqu’elle est dirigée par son propriétaire, sans dépendre d’un grand groupe ou d’un fonds d’investissement.
*** L’entreprise emploie actuellement 120 salariés et 40 intérimaires pendant la campagne.
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