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Mémoires d’un quartier : Saint-Lucien

Entre passé ouvrier, vie associative et renouvellement urbain, Saint-Lucien raconte une histoire forte au cœur de Beauvais. De l’ancienne abbaye aux grands ensembles, le quartier se façonne à travers les souvenirs et les voix de ses habitants.

Mémoires d’un quartier, mémoires partagé

Mémoires des quartiers, mémoires partagées, réalisé par l’association Archipop en collaboration avec la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis et le Commissariat Général à l’Égalité des Territoires est un projet construit dans le cadre de la rénovation urbaine (ANRU 2).

Projet mené sur les quartiers Argentine et Saint-Lucien, il a pour objectif de faire émerger les histoires des habitants dans la diversité sociale et culturelle des parcours. Chaque panneau s’appuie sur l’histoire chronologique du quartier, illustrée de photos et documents collectés auprès des habitants et des services d’archives.

Saint Lucien

Saint Lucien est né au IIIe siècle en Italie. À la suite d’une apparition de Saint Pierre, il part sur les routes dans le but d’évangéliser les foules.

Son parcours l’amène sur les terres Bellovaques(1), où il est considéré comme un ennemi de l’empire romain. Il est alors arrêté puis décapité.
Selon la légende, Saint Lucien, la tête entre ses mains(2) aurait marché jusqu’à l’endroit où il désirait être inhumé. Plus tard, une église fût érigée à cet endroit.

Suite à une vision de Saint Lucien, l’abbaye Saint-Lucien est édifiée en contrebas de la première, sur les terres de Notre-Dame-du-Thil. Elle est transformée dès le VIe siècle en abbaye. Vandalisée par les vagues d’invasions (anglaises et normandes), elle est restaurée deux fois.

Prospère jusqu’à la Révolution, elle est vendue comme bien national en 1791. Dès lors, l’Abbaye constituée de pierres de qualité est démantelée et vendue pierre après pierre. À ce jour, il ne reste que la tour Saint-Lucien et quelques parties du mur d’enceinte classées Monument Historique.

(1) Peuplade gauloise du nord de la France et de Belgique qui a donné son nom à Beauvais.
(2) Ce qui fait de lui l’un des 120 martyrs céphalophores.

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Saint Lucien, XVIIIe siècle, photographie Jean-Louis Bouché, 1986, © MUDO - Musée de l’Oise

LA SOIE VAUBAN

L’Abbaye fait place à l’installation de l’entreprise de textiles artificiels SOIE VAUBAN(1), appelée LES ANCIENS ETABLISSEMENTS VIET installée dès 1926. Aux alentours, on retrouve d’autres manufactures comme l’entreprise MALLCAP(2).

Le nom de l’entreprise SOIE VAUBAN provient de la maison mère basée à Condé-sur-l’Escaut dans le département du Nord. L’entreprise était construite à l’intérieur des murs Vauban de la ville.

À la suite de problèmes financiers, le groupe belge Lagache cesse l’activité de l’entreprise de Notre-Dame-du-Thil en 1933.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les allemands font de l’usine désaffectée une prison, puis elle est réquisitionnée par l’armée américaine de 1944 à 1945. Sur la demande de la municipalité beauvaisienne auprès de l’armée allemande, deux bassins de décantation de l’usine servent de piscine de 1943 jusqu’au début des années 1960.

(1) Nommés aussi viscose. Par un procédé chimique, les végétaux sont transformés en tissus semblable à de la soie.
(2) Entreprise de feutres devenant par la suite FELTRA.

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Photographie de l’Entreprise SOIE VAUBAN extraite du procès verbal du 25 mars 1929, Archives Départementales de l’Oise, MP 2522

1960 - 1980 : LA CONSTRUCTION DU QUARTIER

Construction du bâtiment G, 1961, OPAC de l’Oise
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Beauvais est bombardée par les allemands en 1940 puis par les Alliés. La ville moyenâgeuse composée de maisons à colombages prend feu.

Georges Noël, architecte de Beauvais, se voit confier la dure mission de repenser et de réorganiser la ville. Il s’inspire des études réalisées par Albert Parenty(1) en 1927.

Le 6 février 1943, les villages de Notre-Dame-du-Thil, Marissel, Saint-Just-des-Marais et Voisinlieu sont rattachés à Beauvais et deviennent des quartiers. Tout comme d’autres territoires nouvellement annexés, celui de l’ancienne Abbaye, constitué d’une friche et de quelques baraquements apparaît comme un lieu idéal pour y construire des logements.

La France connaît une période de croissance, le niveau de vie s’améliore, le taux de natalité augmente et le chômage baisse, c’est l’époque des Trente Glorieuses (1945-1975).

Le plan de Georges Noël appliqué, la municipalité beauvaisienne fait appel à Jacques-Henri Labourdette(2) pour la construction d’habitations en centre-ville. Néanmoins, cela reste insuffisant et ne peut enrayer la pénurie de logements. Une partie de la population vit encore dans des baraquements. La municipalité de Robert Sené(3) s’intéresse dès 1950 à la friche abbatiale de Saint-Lucien.

(1) Le plan Parenty, conséquence de la loi Cornudet de 1919, oblige certaines villes à concevoir un plan urbanistique d’aménagement, d’embellissement et d’extension.
(2) Architecte qui a œuvré pour la construction de près de 65 000 logements en France pendant les Trente Glorieuses. Sa réalisation la plus marquante est la ville nouvelle de Sarcelles.
(3) Maire de Beauvais de 1947 à 1954.

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Il faut attendre 1959 et la cession des terrains à la ville de Beauvais par la société HLM du Beauvaisis pour que les travaux soient envisagés. Le Ministère de la Construction accepte le projet. La première pierre est posée le 4 août 1960 sous le mandat de Pierre Jacoby(1). Ces années représentent une période durant laquelle Beauvais se métamorphose, la population passant de 26 756 habitants en 1954 à 46 777 en 1968.

Pour suivre cette construction de 1 115 logements, la ville fait appel à André Hamayon, architecte en chef, et aux architectes R. Bunel et J. Goulletquer.
Deux problèmes surgissent sur le chantier. La construction de tours et de barres impose de stabiliser le sol meuble et humide. Pour y remédier, des renforts sont effectués pour consolider les structures.

Parallèlement, des fouilles archéologiques mettent à jour des vestiges de l’Abbaye Saint-Lucien, ce qui a pour effet de retarder les travaux.

Dès 1961, dans le sillage de la guerre d’Algérie, près d’un million de personnes sont rapatriées en France. La loi du 26 décembre 1961 fait obligation aux bailleurs sociaux de louer 10 % des logements aux rapatriés. C’est ainsi que plusieurs familles sont relogées dans les immeubles de la Soie Vauban.

En 1962, le quartier compte 5 000 habitants dont la majorité sont des familles. C’est pourquoi la ville entreprend la construction de l’école Raoul Aubaud(2), aujourd’hui école de l’Europe sur le quartier. Elle ouvre ses portes le 30 septembre 1963 avec quatre classes primaires et une classe maternelle. L’ensemble est officiellement terminé en 1964.
Un gymnase complète cet équipement en 1969. Suivront un centre commercial, une bibliothèque puis une halte-garderie dans l’immeuble D3.

(1) Maire de Beauvais de 1954 à 1972.
(2) Député de l’Oise de 1928 à 1942.

1980 - 2000 : UN RENOUVEAU S’ANNONCE

Vue sur la tour N, 1991, OPAC de l’Oise
Les deux crises pétrolières des années 1970 ont eu pour conséquence une aggravation du chômage. La crise du logement laisse place à celle de l’emploi. Les jeunes des quartiers sont les premiers touchés. En 1980, cela entraîne de profonds bouleversements sociétaux et remet en cause le modèle des grands habitats collectifs, qui se paupérisent.

Face à cette réalité, la municipalité(1) avec le concours des services de l’État et des bailleurs sociaux met en place une concertation citoyenne avec les habitants des quartiers. Au-delà de l’impatience légitime des locataires, cette concertation introduit un certain nombre de problèmes concrets : logements, sécurité, espaces publics et collectifs. Une des principales difficultés est d’envisager des solutions collectives plutôt qu’individuelles.

Durant les années 1980, et comme d’autres quartiers de la ville, la Soie Vauban bénéficie d’une réhabilitation. Logements et parties communes font l’objet d’améliorations significatives : des aires de jeux, un terrain de tennis et des jardins familiaux sont créés. Le parc de la Grenouillère(2) au travers d’une réorganisation de ses espaces verts est l’objet d’une revalorisation.

Les aménagements piétonniers sont modernisés, en particulier sur l’Avenue de l’Europe. Pour assurer la sécurité du quartier, une antenne de police est créée en 1988 pour répondre à une demande des habitants.
Dans la continuité de ces premiers aménagements, d’autres équipements sont implantés sur le quartier. Une résidence pour personnes âgées est construite rue du Prayon en 1984.

Une Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) est ouverte en 1985 au 2 de la rue Saint-Lucien. Elle préfigure la future Maison de quartier. Une partie de la rénovation du bâtiment est réalisée par des jeunes du quartier, accompagnés d’artisans. La MJC impulse des actions d’animation sur le quartier à travers des ateliers d’art, de sport, de loisirs, et d’autres évènements comme les fêtes de quartier organisées à partir de 1985.
La fête de quartier de 1992 est particulière, avec la création du concours de beauté Miss Soie Vauban.

(1) Mandat de Walter Amsallem (1972–2001).
(2) Le nom Grenouillère fait référence à la présence importante de batraciens sur le parc.

 

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Pour le confort des parents, une crèche accompagnée d’une restauration scolaire et d’une bibliothèque sont inaugurées en 1986. La bibliothèque nommée Marcel Dubos(1) propose des activités à destination du jeune public avec la création du journal « Krachts » qui permet aux jeunes du quartier de s’exprimer. Elle va également organiser des temps forts avec la venue de Philippe Val et de Charb (du journal satirique Charlie Hebdo) en 1997.

Le 15 mars 1994, l’association UTILE (Un Terrain pour l’Initiative, les Loisirs et l’Education) est créée dans le but de rassembler les habitants, d’échanger et de développer des projets. En 1996, elle s’installe dans la nouvelle maison de quartier, voulue par la municipalité Amsallem et inaugurée la même année.

Celle-ci propose des sorties en famille, des activités sportives et culturelles, du soutien scolaire, et à travers le Point Infos Jeunesse (PIJ), une aide à la recherche d’emploi. Très rapidement, elle compte plus d’une centaine d’adhérents.

À la fin des années 1990, des médiateurs urbains sont mis en place sur les quartiers à l’initiative de la ville de Beauvais, de l’État et des bailleurs sociaux. Ils ont pour rôle de sensibiliser sur le respect des espaces communs et de favoriser les relations entre les habitants, les bailleurs sociaux et le service de la ville.

(1) En mémoire de Marcel Dubos, résistant beauvaisien de la Seconde Guerre mondiale.

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Maison de quartier, 1997, OPAC de l’Oise

2000 À NOS JOURS : LES TRANSFORMATIONS DE SAINT-LUCIEN

Vue aérienne du quartier Saint-Lucien, 20 juin 2013, Collection Anselme – Archipop
Sous la municipalité du Maire Caroline Cayeux(1), en 2007, le quartier Saint-Jean bénéficie du Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU)(2) jusqu’en 2016. Parallèlement, en 2009, un Plan d’Action au sein des Quartiers (PAQ) est établi comme l’embellissement et la rénovation des protections des berges du Thérain.

Dans la continuité, et pour décloisonner et réhabiliter le centre commercial Soie Vauban, des travaux d’envergure sont réalisés. L’OPAC en partenariat avec la Ville de Beauvais entreprend des travaux de réaménagement de la place centrale, par la construction d’un nouvel espace commercial et la création de 30 logements au-dessus des locaux commerciaux. La première pierre est posée le 21 mai 2012, et les travaux se terminent trois ans plus tard, le 26 novembre 2015.

En février 2014, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine fixe les objectifs et les moyens du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU). 200 quartiers dont Argentine et Saint-Lucien vont pouvoir en bénéficier.
L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU)(3) aidera financièrement les porteurs de projet, à hauteur d’environ 5 milliards d’euros.

Le 1er juillet 2016, la signature du protocole de préfiguration entre l’ANRU, la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis, la Ville de Beauvais, les bailleurs sociaux et les partenaires financiers, officialise le lancement de la rénovation urbaine. Des comités de suivi et de médiation(4) sont mis en place pour faire le point sur l’état d’avancement des projets et le Conseil Citoyen est constitué le 5 avril 2016 sur volontariat et tirage au sort.

Trois grands piliers sont au cœur du protocole : désenclaver et ouvrir le quartier sur le reste de la ville, affirmer sa centralité, valoriser et révéler son potentiel paysager, rendre plus attractif le parc de logements et diversifier l’habitat.

(1) Maire de Beauvais depuis 2001.
(2) Cette réforme propose de revoir en profondeur les instruments de la politique de ville en inscrivant pour la première fois le principe fondamental de co-construction de la politique de la ville avec les habitants à destination des quartiers prioritaires.
(3) Créée en 2003, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine est un organisme public qui soutient financièrement les collectivités porteuses des programmes de Rénovation Urbaine. Son but est de favoriser la mixité sociale et d’améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers prioritaires.
(4) Le comité de suivi et de médiation présente à la population l’actualité liée à la rénovation urbaine, les participants sont des habitants, des élus et des services concernés.

 

Le Conseil citoyen est composé de 20 membres dont un collège d’habitants (hommes et femmes à parité), et un collège d’acteurs locaux ou d’associations. Ces Conseils citoyens participent à toutes les instances de pilotage du contrat de ville(1), y compris celle relatives aux projets de renouvellement urbain.

Le but est de favoriser l’expression des habitants aux côtés des acteurs institutionnels, de co-construire les contrats de ville et les projets de renouvellement mais aussi de stimuler et d’appuyer les initiatives citoyennes. Pour faciliter certaines démarches, les conseils citoyens d’Argentine et de Saint-Lucien se sont constitués en association.

Dans le cadre du projet de rénovation urbaine, des ateliers sont animés par l’agence Traitclair à destination des habitants afin d’échanger sur l’avenir du quartier. Lors de ces ateliers, plusieurs thématiques définies avec les habitants sont abordées comme « Habitats et logements », « Centralité du quartier et commerces », « Déplacements et stationnements », « Le parc de la Grenouillère ». La sécurité, thématique transversale, est questionnée à chaque atelier. Les conclusions des ateliers sont communiquées aux bureaux d’études en charge du suivi du projet pour examen(2). La synthèse des ateliers permettra à l’agence ARVAL, cabinet d’architecture, de proposer les premiers plans de projet, de donner une vision du futur du quartier, en co-construction avec les habitants.

Dans cette perspective de renouvellement, la maison de quartier(3) va laisser place à la Maison d’Activités et de Loisirs Intergénérationnels Culturels et Educatifs (MALICE). Celle-ci va accueillir des actions à destination du jeune public et des familles, la Médiathèque et la Maison du projet. La construction de la MALICE est financée par l’État via la dotation de développement urbain (DDU). La Maison du projet aura pour mission de réunir les habitants et l’ensemble des porteurs ou partenaires de projet, ainsi que les associations et les acteurs locaux, en organisant des évènements et des rencontres autour du projet de renouvellement urbain.

Ce projet Mémoires des quartiers, mémoires partagées retrace une partie de l’histoire du quartier et de Beauvais, il appartient désormais aux habitants et aux associations de construire son avenir.

(1) La politique de la ville (politique publique de l’État) cherche à fédérer l’ensemble des partenaires dans un document unique en inscrivant les interventions prévues au bénéfice des quartiers prioritaires. Elle est mise en œuvre localement dans les contrats de ville.
(2) Les cabinets réalisent des diagnostics débouchant sur de premières orientations. Ils travaillent sur quatre grandes thématiques : l’habitat et les logements par le Cabinet Habitat et Territoires Conseil, les commerces par le Cabinet Intencité, les équipements publics et les espaces publics par le Cabinet Alphaville, les déplacements et les stationnements par le Cabinet Egis France.
(3) Les travaux de démolition ont duré du 3 novembre 2016 au 7 décembre 2016.

REMERCIEMENT

Le projet Mémoires des quartiers, mémoires partagées a été réalisé par l’association Archipop en collaboration avec la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis et la direction Politique de la Ville et Renouvellement Urbain.

Nous tenons ici à remercier les personnes qui ont accepté de nous confier leurs documents et pour certains de s’être livré devant la caméra :
Jacques Anselme, Annick Becquerelle, Sylvie Bourdon, Jean Cartier, François Chanal, Denise Decamp, Armenio Defaria, Martine Devillers, Anatolie Dupré, Harry Duval, Jean-Marc Fémolant, Marie Jutard, Joachim Klein-Bardagi, Jacques Legrand, Annick Lemaire, Etienne Lemaire, Jérôme Liévain, Michelle Travers, André Vinay, Joachim Wattelin, Hassan Younes.

Nous remercions également les associations, les institutions et les services qui ont partagé leurs documents d’archives ou leur connaissance du quartier, permettant de comprendre mieux certains volets de son histoire :
les Archives Départementales de l’Oise, les Archives Municipales de Beauvais, le Conseil citoyen, IFEP, Ludo Planète, la Médiathèque Marcel Dubos, l’OPAC de l’Oise, Photo club de Beauvais, TCAB.

Remerciements particuliers à Arthur, Cécile, Claude, Frédéric, Jef, Magid, Mellie et Séverine.

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