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Les Films

UNE PLAGE DE RÊVES

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Auteur(e) : Rosine LEFEBVRE

Publié le 12 juillet 2023

FRICTION #7

Vacances au Crotoy, 1975 . Film Super 8 . Collection Anonyme.

Quand l’écriture se frotte à l’image documentaire…

Quand on porte le nom d’un célèbre héros, il est difficile de ne pas en être un soi-même. L’imaginaire de l’enfant, nourri des récits de légende, transforme l’ordinaire du quotidien et le film de ses vacances à la mer devient une véritable épopée. On verra qu’il ne sera pas seul à s’échapper dans la fantaisie.

 

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Dans sa classe, les garçons s’appellent Olivier, Philippe, François ou Didier. Des prénoms normaux,  des prénoms modernes. Lui, c’est Ulysse qu’il s’appelle. On lui a donné le prénom de son arrière-grand-père, mort à la guerre, alors forcément, ce n’est pas à la mode. On se moque de lui. Et depuis que ses parents ont déménagé à Troyes, ça ne s’arrange pas. 

– Hé, Ulysse , tu l’as mis où ton cheval ?

 

Son père lui dit qu’il devrait être fier de porter le nom d’un héros grec si fort et si malin. Sa mère lui raconte chaque soir un épisode de l’Iliade ou de l’Odyssée, plein de rebondissements. Mais dans la cour de l’école, c’est un vrai naufrage. Ulysse se retrouve souvent tout seul, comme si porter ce nom rare le condamnait à l’exclusion. Alors Ulysse rêve… dans son coin. 

 

Il rêve à ses prochaines vacances avec les cousins. A la mer, il se sent dans son élément, la mythologie rejoint le réel, ou l’inverse. Le bateau gonflable qui fait du cabotage dans la baie de Somme traverse la Méditerranée, d’îles en îles.  Sous la casquette de marin de son oncle se cache en fait le grand général grec Agamemnon et,  au loin, les deux tours qui se dressent au-dessus de la plage du Crotoy, signalent l’entrée des remparts de Troie. Mais ça, il est le seul à le savoir.

 

Les cousins courent sur la plage, tombent, courent dans l’eau, se bousculent pour entrer dans la barque instable, tombent encore, jouent et rigolent dans l’insouciance absolue des dangers du voyage: les fruits des Lotophages qui provoquent l’oubli, le chant des sirènes qui déboussole ou les rochers périlleux de Charybde et Sylla. Ulysse, en bon capitaine, ne veut pas les effrayer, il veille, mais il se tait. Il a peut-être peur qu’on se moque encore de lui. 

 

Il faut changer de cap rapidement, regagner la terre ferme et le sable, en attendant de pouvoir repartir en toute sécurité. Les marins deviennent bâtisseurs : châteaux, murs d’enceinte, églises. Est-ce qu’elles existaient déjà à l’époque ? Ulysse n’en est pas très sûr,  il faudra qu’il demande à sa mère. Mais il garde la question pour plus tard, les cousins ne la comprendraient pas. 

 

Quand les constructions sont achevées, la mer a repris de la vigueur dans la baie, l’équipage embarque une nouvelle fois, le périple continue. La mer est calme, l’horizon dégagé, Ulysse regarde vers l’Ouest, il sait que bientôt il parviendra à ramener ses compagnons au pays.

 

Itaque, enfin !  Ils débarquent dans le port, épuisés,  mais tellement heureux d’arriver vivants au bout de l’épreuve. Le voyage aurait duré dix ans. Quand il regarde la carte accrochée au mur de sa chambre, Ulysse se dit qu’Homère a peut-être un peu exagéré : ce n’était pas si loin quand même.

 

Ulysse a hâte de retrouver Martine. Il paraît qu’elle arrive demain avec ses parents, les Delahaye et son tonton Marcel, qui est dessinateur. Elle était venue cueillir les salicornes avec eux l’an dernier. Elle est sympa,   elle a un nombre incroyable d’histoires à raconter. Il lui arrive toujours plein de trucs. On ne s’ennuie pas avec elle.

 

Le lendemain, Ulysse la retrouve sur la plage. Après la baignade, ils décident de creuser un grand trou dans le sable, avec l’idée de se cacher quand on viendra les chercher pour le déjeuner. « Toi, Ulysse, le sable ça te connaît ! » Voyant qu’il ne comprend pas ce qu’elle veut dire, elle ajoute: « Ben oui, tu ne sais pas que le marchand de sable de Bonne nuit les petits s’appelait Ulysse ? »

 

Vers midi, une femme sort d’une cabine de plage, regarde dans leur direction et appelle : « Dominique ! Où es-tu ? Où te caches-tu  encore  ? Dépêche-toi, on va bientôt manger ! Dominique ! Si tu ne viens pas tout de suite, je confisque tes albums pour toute la semaine. »

Martine se précipite hors du trou, et se met à courir vers les cabines.

Ulysse, interloqué, la regarde partir. Puis il crie : «  Martine, ce n’est pas ton nom ! Pourquoi tu m’as menti ? » 

Elle s’arrête et se retourne vers lui, entre colère et tristesse: 

– « Et pourquoi que je m’appellerais pas Martine, tu t’appelles bien Ulysse ! » 

– « Oui, mais moi je… » Il n’a pas le temps de poursuivre, elle est déjà loin.

 

Ulysse se tourne vers la mer, c’est marée basse. 

La stupeur passée, il se  souvient d’un vieil album, fatigué de trop de lectures, dans une caisse en plastique sous le lit de sa grande sœur, « Martine à la mer ». 

Alors il comprend que Dominique est plus malheureuse que lui, car elle doit changer de nom pour rêver sa vie. 

Lui, c’est dans la vraie vie qu’il est un héros, sur les mers comme dans les airs. Il est soudain tellement heureux de s’appeler Ulysse qu’il se met à courir comme un fou vers la mer, faisant s’envoler une armée de goélands. Il regarde le ciel noir d’oiseaux et tout là-haut sur le petit nuage blanc, il se voit jeter d’un beau geste de semeur des grains de sable qui scintillent au soleil. Il n’est pas encore l’heure de se coucher, mais il est sûr que ses nuits seront désormais pleines d’étoiles et de rêves, entre ciel, mer et terre et que, de là-haut ou d’en bas, son arrière-grand-père sera fier de lui.

 

 

Texte de Rosine Lefebvre, lu par Lucie Larzillière

Sources documentaires :
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