Publié le 1 octobre 2024
« Yannick ou la passion du jardinier »
Un avant-goût du podcast « La chicorée Leroux ou le jeu des sept familles » !
Ingénieur en agronomie et enseignant-chercheur à Junia ISA (Institut supérieur d’agriculture) de Lille, Yannick Delourme est responsable du service agronomique de l’Interprofession de la Chicorée de France depuis bientôt trente ans. Sur le plan de la recherche, il est le seul en France à travailler sur cette plante, avec l’aide d’un semencier historique de la région du Nord. C’est aussi grâce à lui que nous avions pu nous entretenir avec deux passionnants exploitants-cultivateurs de chicorée, Jacques Adriansen et Bernard Libbrecht, pour la réalisation de la série de podcasts « La chicorée Leroux ou Le jeu des 7 familles »
❧ Parcours personnel
« En sortant de mon service militaire, j’ai envoyé mon C.V. à huit entreprises ou organismes professionnels agricoles différents. J’ai reçu huit réponses positives, dont celle de l’Interprofession de la chicorée. J’avais abordé la culture de la « chicorée à boisson » pendant mes études, cela m’avait déjà intéressé. Je suis originaire de la région lilloise, en campagne de Lille. La chicorée est une plante cultivée sur le territoire des Hauts-de-France. Il y avait de la recherche fondamentale pour l’amélioration des semences, mais très peu de recherche technique sur sa culture, très peu d’investissements de la part des fermes phytosanitaires, des maisons de semences, tout était à mettre en place. Cela correspondait bien à ma devise : ne jamais rester sans savoir. Voilà pourquoi j’ai choisi d’entrer dans cette voie. Le but était de développer la recherche, de trouver de nouvelles solutions, d’apporter de l’amélioration à l’itinéraire technique cultural, pour être plus performant en étant plus propre. »
❧ « Propre »
Plusieurs fois entendu dans la bouche des « planteurs » de chicorée interviewés, le mot propre peut s’appliquer à la fois au champ, débarrassé des plantes concurrentes, et à la culture écologique de la chicorée elle-même. Yannick Delourme nous en donne les explications :
« C’est une racine qui a besoin de six mois de végétation pour arriver à maturité. Elle est très peu gourmande en intrants. Elle n’a pas de besoins importants pour pousser, à part du soleil et un peu d’eau pour la faire germer. Elle se défend naturellement contre les maladies, contre les attaques des insectes, grâce à l’amertume qu’elle dégage et diffuse dans ses feuilles. Cette amertume est son propre insecticide-fongicide naturel.
Le gros problème de cette plante est qu’elle pousse très lentement. On la sème en avril, il ne fait pas très chaud. A côté, on a une levée d’adventices invasives – qu’on appelle, à tort, « mauvaises herbes » – qui peuvent nuire à la culture de la chicorée, comme les chénopodes, les laiterons, les matricaires, les morelles… Il y a un effet de compétition et ces adventices peuvent prendre le dessus sur la chicorée et nuire à sa pousse. On a quelques herbicides qu’on incorpore avant le semis, qui ont une durée de vie de trois mois, et vont permettre de lutter contre la levée de ces adventices. Le gros travail d’aujourd’hui est de trouver de nouveaux herbicides, suite aux réglementations européennes, trouver des produits plus propres qu’on incorpore avant le semis. Mon travail est de faire des essais, en ayant un peu de temps pour trouver de nouvelles alternatives.
On n’utilise pas que des produits phytosanitaires : on passe du temps en se baladant dans la parcelle avec une « rasette » pour enlever les adventices à la main, on fait aussi beaucoup de binage mécanique avec un tracteur et une bineuse qui coupe les racines des « mauvaises herbes » entre les rangs. Il y a pas mal de temps à passer dans un champ de chicorée, pour lutter pendant les deux, trois premiers mois de la culture. Ensuite la plante continue avec ses propres défenses. Elle a besoin de six mois de végétation pour arriver à maturité et elle peut rester sept ou huit mois en terre. Il n’y a pas du tout de résidu de produit phytosanitaire dans la racine, puisque le seul produit employé, l’herbicide qu’on utilisait avant le semis, avait une rémanence de 3 mois.
La différence avec le bio est donc minime. Mais en bio, il faut de 100 à 300 heures de main d’œuvre par hectare pour retirer les adventices. Il y a, selon les années, entre 80 et 120 ha de chicorée en culture bio pour une quinzaine de producteurs. »
❧ Territoires et chiffres
« L’Interprofession de la chicorée regroupe 3 types d’organisations professionnelles dans le secteur de la chicorée à boisson, c’est le terme aujourd’hui – autrefois on disait « chicorée à café »- : des producteurs appelés « planteurs », 250 actuellement, des torréfacteurs et des sécheurs.
La culture de la chicorée ne se trouve que dans les Hauts de France. »
❧ Pourquoi la région des Hauts-De-France ?
« Il y a d’abord l’histoire, avec les usines implantées depuis longtemps dans la région. Ce sont des outils industriels très coûteux, pas de possibilité de délocaliser – une usine de ce type coûterait plusieurs millions d’euros – et le transport coûte cher, l’énergie, le bilan carbone…
Nous bénéficions d’un climat maritime et continental favorable.
La plante pourra très bien s’adapter au changement climatique : elle se comporte très bien quand il fait de grosses chaleurs. Il ne faut pas oublier qu’elle a été découverte le long du Nil, en Égypte, il y a plus de 2000 ans, c’est une plante qu’on peut dire tropicale.
La terre limoneuse, limono-sableuse, sableuse, est favorable, comme pour la carotte, car la racine qui fait environ 25 cm de profondeur, peut être extraite facilement, sans apporter « le champ à l’usine ». Dans un sol argileux, la terre collerait davantage à la racine.
Il y a environ 2000 ha de chicorée dans les Hauts de France. Par comparaison, il y a 480.000 ha de betteraves sucrières et 5 millions d’ha de céréales. 2000 hectares, ça n’intéresse pas grand monde, les grands groupes ne s’y intéressent pas !
On minimise le risque agricole en ne mettant pas tous ses œufs dans le même panier, on demande donc à avoir de petites zones de production. On a quand même deux bassins importants autour des usines, pour faciliter l’approvisionnement et le transport. Mais on ne peut pas tout planter au même endroit (si problème de pluviométrie, d’ensoleillement…)
Il y a trois zones de production :
– la Somme autour d’Abbeville, jusqu’à Rue et Crécy-en-Ponthieu, dans un rayon de 30-40 kilomètres;
– à partir de Boulogne en remontant jusque Calais et, en direction de Lille, jusque Wormhout, grosse zone de production avec les usines de transformation ( sècheries et torréfaction)
– à partir de Villeneuve d’Ascq jusqu’à Cambrai et Douai, ( NDLR : incluant Orchies).
Au niveau des torréfacteurs, il y a deux acteurs : la chicorée Lutun à Oye-Plage ( « La chicorée du Nord ») et la chicorée Leroux à Orchies. »
❧ Le renouveau
« On constate aujourd’hui un renouveau de la chicorée chez les jeunes. L’amertume revient à la mode : la bière amère, la consommation des endives, les chicons, la chicorée.
Il y a aussi les arguments de la santé et surtout de l’écologie : le café vient du bout du monde, ça coûte cher, on parle de baisse de rendements, donc l’offre et la demande vont exploser, ce n’est pas bon pour la santé quand on en consomme de trop, donc la chicorée est une alternative qu’on redécouvre.
Quand je voyage en France, je taquine un peu les restaurateurs quand ils me proposent un café: « Non, plutôt une chicorée ! ». Je le fais aussi avec des amis qui habitent ailleurs que dans le Nord : quand je les revois l’année d’après, ils se sont mis à goûter la chicorée, à en consommer.
Au niveau de la consommation, la principale région en France, c’est le Pas-de-Calais, ensuite la région PACA. Pourquoi ? Les retraités du nord descendent dans le sud de la France et en consomme ! La troisième région de consommation est la Bretagne, peut-être parce que la famille Leroux à la base était bretonne ! Puis c’est la région Grand Est. Une nouvelle zone est en train de se développer, c’est la région parisienne, avec différents acteurs qui la commercialisent. »
❧ Sur les podcasts:
« J’ai écouté avec beaucoup de plaisir les podcasts, grâce auxquels on comprend parfaitement le fonctionnement de la filière, l’histoire de la plante, de sa culture jusqu’à la transformation, avec beaucoup de précision. Aujourd’hui, le secret industriel serait peut-être mieux gardé en raison de la concurrence !
Les explications de la phytothérapeute dans le dernier épisode sont très intéressantes et très claires. J’ai également beaucoup apprécié la façon dont les anciens ont parlé. C’est le mot « passion » que je retiens de ces témoignages. C’est un peu comme moi qui suis passionné par cette plante, eux ont été passionnés par leur travail, passionnés de la cultiver. Cette plante est de culture compliquée. Il faut être jardinier dans l’âme. Sa transformation est de type artisanal, ce n’est pas l’ordinateur qui va torréfier le produit. Pour la chicorée, il faut l’alliance entre un maître-paysan, un maître-sécheur, et un maître-torréfacteur, qui essaient de bien faire. »
Propos recueillis par Rosine Lefebvre
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