Publié le 29 avril 2022
D’où vous vient cette passion pour les home movies, comme on les appelle dans le monde anglo-saxon ?
J’ai le souvenir d’avoir assisté pour la première fois à une projection de films amateurs à Barcelone. Cela devait être en 2015. C’était à l’occasion d’une fête entre amis. L’un d’eux avait fait l’acquisition d’un projecteur de films de 8 mm. Il avait pris l’habitude d’acheter des films amateurs pour ensuite les projeter au mur pendant que nous passions un moment ensemble. Un soir, alors que les images défilaient en fond, nous avons été interpellés par des scènes particulièrement originales. Chaque film semblait unique. Je crois que c’est particulièrement lié au regard et au style du cinéaste amateur.
Ce qui m’a tout de suite plu, c’est la surprise que contenait chaque bobine. En très peu de temps, nous passions de scènes tournées dans les rues de Paris dans les années 1940 à un repas de famille des années 1970 à Chicago. Cela m’a aussi permis de découvrir des époques d’un autre point de vue que celui des films de fiction ou des actualités cinématographiques.
En plus de ça, j’ai trouvé que les gens avaient une manière différente d’interagir avec la caméra. Avant l’avènement du numérique, les personnes filmées ne pouvaient pas s’empêcher de regarder la caméra et de se mettre en scène. En même temps, je crois que les gens étaient moins à l’aise ou plus timides à l’idée d’être filmés car ce n’était pas aussi courant qu’aujourd’hui. Dans tous les cas, comme la pellicule n’était pas illimitée, les scènes semblaient vraiment avoir été planifiées et capturées avec soin.
De là, comment est né le projet « Archive Footage » sur Youtube ?
Au départ, j’ai d’abord pensé reproduire l’expérience en projetant des films sur le mur. J’ai donc acheté un projecteur et j’ai récupéré toutes les bobines que je pouvais trouver chez moi aux Etats-Unis. J’ai découvert des images de ma famille que je n’avais jamais vues avant. Des images du mariage de mes parents, de vacances et aussi de mes arrières grands-parents. Jusque-là, je m’étais contenté de photos et de récits sur mes ancêtres.. Le fait d’avoir des images en mouvement, de les voir marcher, de découvrir leurs manières a apporté une dimension complètement nouvelle à la perception que j’avais de leurs vies. Je me suis soudainement senti plus proche d’eux alors que je ne les ai même pas connus.
J’ai réalisé que ce serait dommage de perdre tous ces souvenirs personnels, par détérioration ou par accident, donc je me suis décidé à les numériser. J’ai commencé en projetant les films sur le mur et en les filmant avec une caméra numérique mais la qualité était très faible. C’est la raison pour laquelle j’ai fini par acheter un petit scanner à 200 dollars qui prenait des photos de chaque image en basse résolution et qui les liait ensuite dans une seule et même vidéo. C’est un dispositif très ingénieux qui m’a permis de scanner des centaines de films. Pas uniquement des films de ma propre famille mais aussi des films achetés sur Ebay, dans des vides greniers et sur des marchés. Avec le temps, collectionner des bobines est en effet devenu une véritable obsession. Finalement, j’ai économisé pour m’acheter un scanner plus grand conçu par une petite entreprise basée au Texas. Il pouvait scanner des films vingt fois plus vite que le précédent et donnait des résultats d’encore bien meilleure qualité.
J’ai par ailleurs découvert l’existence d’une communauté de passionnés de films d’archives amateurs. J’ai été en particulier inspiré par le fait que certaines personnes publiaient des films d’archives amateurs sur Youtube comme Kino Library ou The Travel Film Archive. J’ai donc choisi d’en publier à mon tour pour les partager avec le public. Mais comme j’ai accumulé une tonne de bobines, il me reste encore beaucoup de travail de tri et de numérisation.
Quelles sont les particularités de votre collection ?
À l’origine, j’avais principalement des films de 8mm et en Super 8 mais depuis peu, je m’intéresse aussi aux films en 9,5 mm et 16 mm. Cela me permet de me focaliser sur des images des décennies antérieures, comme celles des années 1920 ou 1930. Autrement dit, au tout début des images amateurs.
Il faut savoir que, dans les films amateurs, on trouve beaucoup d’images qui ne contiennent que des paysages ou des animaux. Ces films-là m’intéressent moins parce qu’on y note difficilement un changement d’époque. Moi, quand je cherche des films, j’essaie avant tout de trouver des images qui se centrent sur des personnes. Grâce à leurs styles, mais aussi grâce à l’évolution des technologies, on arrive à caractériser et à situer une époque. Et ça, ça m’intéresse davantage !
Dans l’ensemble, j’ai des films amateurs qui proviennent de 90 pays différents. Mon objectif est d’arriver à avoir un jour au moins un film de chaque pays du monde. Cela dit, certains sont quasiment impossibles à trouver comme des films de l’ancienne Guinée française, de Papouasie Nouvelle Guinée, de Mongolie. Des pays avec très peu d’habitants, en fait. Une fois, j’ai vu passer un film amateur tourné en Antarctique. Il a été vendu très cher.
Avez-vous des films que vous affectionnez tout particulièrement ?
Mes films préférés sont ceux où les gens dansent. J’ai une quantité surprenante de clips de personnes dansant avec des amis et de la famille. J’ai notamment en tête un film des années 1940. C’est juste un groupe d’amis qui passe du bon temps, cuisine, danse et profite d’une belle journée en extérieur, mais je l’adore car le plaisir que prennent les personnages saute aux yeux.
Dernièrement, j’ai aussi trouvé une série de clips qui montre la célébration de la victoire à Londres le 8 mai 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On y aperçoit des groupes de soldats et de civils qui marchent dans la rue, se félicitant de la défaite des nazis. On retrouve beaucoup d’images de cette journée dans les archives professionnelles, mais beaucoup moins d’images amateurs. C’est ce qui, je crois, rend cette vidéo si singulière.
Enfin, il y a un film datant des années 1950, tourné à Cuenca en Equateur. Le cinéaste amateur est assis près d’une fenêtre, et il observe et filme les gens qui passent devant. Je trouve que c’est intéressant car, avec cette idée toute simple, il arrive à rendre compte de la diversité de la population, des codes vestimentaires, des traditions, de la vie quotidienne dans cette ville.
Comment arrivez-vous à identifier la date et la localisation des différents films ?
Quand j’achète des caisses de bobines, c’est à chaque fois une surprise car même quand il y a une étiquette, l’inscription correspond rarement au contenu. Résultat : je cherche un signe, une maison, une boutique, une langue et ensuite je vérifie sur Google. Je ne suis pas toujours sûr mais je dirais que j’ai 90% de fiabilité.
Pour ça, les commentaires sur YouTube sont très utiles. Parfois, il y a des gens qui indiquent qu’il y a une erreur d’étiquetage. Dans ces cas-là, je vérifie et je corrige.
Quels sont vos prochains projets ?
Aujourd’hui, j’ai suffisamment de scènes de Noël, de Pâques, d’anniversaires, de mariages…Donc ce que je cherche à faire, c’est plutôt à me focaliser sur des pays qui ont moins de représentations comme les pays d’Amérique du Sud ou d’Afrique.
Comme j’ai déjà été sollicité par des Archive Researchers qui souhaitaient utiliser quelques secondes de mes films pour une série ou un documentaire, j’aimerais aussi donner plus de visibilité à ma collection et à ma chaîne YouTube pour que les films puissent être plus largement utilisés dans différents projets audiovisuels. En ce sens, j’aimerais à terme créer un site web pour qu’un utilisateur puisse chercher et trouver facilement des clips en fonction du sujet, du lieu ou de l’année.
Je commence aussi à extraire des images des vidéos pour en faire des impressions. Il y a tant de scènes incroyables que j’aimerais capturer et auxquelles j’aimerais donner plus de contexte.
Propos recueillis le 27 janvier 2022 par Inès Edel-Garcia
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