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Les Films

“History Catchers”, des cameramen qui ont marqué leur époque

journaliste
Auteur(e) : Inès Edel-Garcia

Publié le 2 février 2021

En savoir plus :
Entretien croisé avec les réalisateurs, Anne THÉVENIN et Julien GAURICHON

Avec “History Catchers”, l’INA et Arte s’associent autour d’une nouvelle co-production basée sur le fonds de “Mystères d’archives”. En dix courts épisodes, cette web-série entend décrypter les images qui ont fait l’histoire du XXe siècle et par là même, rendre hommage aux cameramen qui les ont tournées. Entretien avec les réalisateurs, Anne Thevenin et Julien Gaurichon.

 

Quel est le point commun entre tous les cameramen que vous mettez à l’honneur dans la série « History Catchers » ? 

ANNE THÉVENIN

L’idée, c’était de voir dans l’histoire de chacun d’entre eux la grande Histoire avec un angle un peu décalé. On les a aussi choisis car la personnalité de ces hommes nous plaisait. Par exemple, Youssouf Janessar nous a touchés parce qu’il a donné sa vie au commandant Massoud. Certes, ce ne sont que quatre minutes à hauteur d’hommes – des hommes modestes – mais des hommes qui sont profondément humains.

JULIEN GAURICHON

On voulait surtout avoir un éventail très large pour refléter différents parcours et différentes manières de mise en pratique de l’image et de mise en récit. Toutes ces histoires n’ont pas les mêmes buts, ni les mêmes destinations. On a des reporters de guerre, on a des gens qui filment pour conserver des images au sein d’une organisation militaire, on a des images de funérailles où l’on est vraiment dans le registre du sacré, on a aussi des cameramen qui jouent un rôle scientifique etc. 

 

Ces hommes ont été un peu invisibilisés par l’histoire. C’était donc pour vous l’occasion de les réhabiliter ? 

ANNE THÉVENIN

Quand ces cameramen rentraient de reportage, ils faisaient un pré-montage ou confiaient directement leurs rushs à la compagnie de news.  Donc en fait, leurs films leur échappaient. On le voit bien dans le film de Georges Méjat sur l’assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie à Marseille. Avec le parlant, c’est le commentateur qui devient finalement le héros. Les cameramen, eux, ne cherchaient que l’aventure, pas la célébrité. 

JULIEN GAURICHON

C’était des gens parfois sous contrat, parfois pris dans une organisation. Ils n’avaient pas des velléités de se mettre en avant, de devenir des vedettes. Ils se contentaient de raconter le mieux possible un événement dont ils avaient été les témoins.

 

J’imagine qu’il y a eu tout un travail d’enquête pour identifier les auteurs de ces images et obtenir des informations sur leurs parcours de vie. Comment vous vous y êtes pris ?

ANNE THÉVENIN

Les images d’archives d’“History Catchers” sont issues de la collection “Mystères d’archives”. C’est Serge Viallet qui a eu l’idée de raconter l’histoire de ces cameramen pour qu’on leur donne l’espace et la visibilité nécessaires, qu’on n’avait pas dans “Mystères d’archives”. 

Ensuite, la série “Mystères d’archives” est elle-même le résultat d’une enquête. On avait donc déjà connaissance de ces cameramen mais avec “History Catchers”, on a eu l’occasion d’approfondir. On a par exemple retrouvé des interviews de Georges Méjat datant des années 60-70 où il raconte précisément comment il s’est placé pour filmer l’assassinat d’Alexandre Ier de Yougoslavie.

 

À l’époque, comment ces cameramen se formaient à l’image ? Étaient-ils considérés comme des amateurs ?

ANNE THÉVENIN

Dans la série, Neil Armstrong est le seul cameraman amateur. Tous les autres étaient des professionnels qui avaient souvent été d’abord photographes, avant de se former sur le tas à la caméra. Il faut savoir que dans ces années-là, la pellicule était assez chère. On ne pouvait pas filmer pendant des heures. Du coup, on envoyait les gens expérimentés car il ne fallait pas qu’ils ratent leurs plans. 

 

Les dix capsules sont consacrées à des hommes et les sujets de leur films restent eux aussi principalement masculins. Ça traduit forcément quelque chose d’une époque. Ca raconte une histoire au masculin. Comment expliquer ce biais, ce déficit de camerawomen ? 

JULIEN GAURICHON

C’est vrai que c’est un contre-champ un peu aveugle de la série. Les femmes représentaient une proportion assez faible des cameramen à cette époque-là.

ANNE THÉVENIN

Être cameraman pour des compagnies de news, c’était un métier considéré comme dur. Il fallait quitter sa famille, voyager… Dans le cadre de l’expédition au Pôle Sud, Van der Veer et Rucker sont quand même partis pendant deux ans. Ce qui est sûr, c’est qu’on considérait que ce n’était pas des métiers adaptés aux femmes.

 

Au cours de vos recherches, avez-vous malgré tout trouvé quelques films comparables tournés par des femmes ?

ANNE THÉVENIN

Bien-sûr que des femmes ont filmé ! D’ailleurs, dans les archives Gaumont, on voit que depuis le début du XXe siècle, la plupart des films de famille ont été tournés par des femmes. 

Il y a d’ailleurs une femme cinéaste amateur assez connue : Eva Braun qui a filmé Adolf Hitler. Nous n’avons pas retenu ce sujet-là car pour Arte Strasbourg, c’était délicat. En plus, quand c’est un proche qui filme, c’est très chaleureux, ça brise la distance. Il faut savoir regarder un film amateur et ne pas le prendre comme de l’actualité. 

 

C’est-à-dire ?

ANNE THÉVENIN

Si on prend par exemple le cas du procès des Ceausescu, c’est une caméra amateur qui filme les mains liées dans le dos d’Elena Ceausescu. De bourreau, elle devient victime. Le langage de l’image est très fort. Il surplombe tout ce qu’on peut dire au niveau du commentaire.

On l’a aussi vu plus récemment à la mort de Kadhafi. Les amateurs ont eu tendance à filmer le visage ensanglanté. Résultat : quoique le général ait fait, on a vu le visage d’une victime d’un lynchage. L’image faisait appel à l’émotion. Je ne sais pas si c’est ce que les gens ont vraiment voulu filmer. Les cameramen professionnels ont tendance à être plus elliptiques. Ils ne vont pas aller vers le visage en sang. 

En même temps, pour l’assassinat du roi de Yougoslavie filmé en direct avec ce gros plan qui dure, on s’est posé la question : qu’est-ce qu’il se passe ? Les cameramen voient une scène à travers l’œilleton, ce n’est pas complètement réel. C’est un peu voyeur de continuer à filmer pendant qu’il agonise. Il y a vraiment une distance donnée par le viseur de la caméra. 

 

Quelle était justement votre intention avec cette série d’archives dans un contexte où aujourd’hui, tout le monde peut s’improviser cameraman et retransmettre un événement en direct grâce à son smartphone ? 

JULIEN GAURICHON

Avec ces récits très condensés, toute la difficulté était de faire comprendre le contexte de l’événement mais aussi d’illustrer le parcours d’un cameraman. On aurait pu avoir d’autres récits autour des cameramen amateurs. Mais que ce soit les images d’un cameraman amateur ou professionnel, tournées hier avec de la bobine ou aujourd’hui avec smartphone, les questions qui nous guident restent les mêmes : qui filme ? dans quel contexte ? d’où filme-il ? quelle est la relation du cameraman au sujet filmé ?

ANNE THÉVENIN

L’objectif était de raconter avec légèreté comment ces hommes avaient fait pour capter tel ou tel événement. Nous avons fait notre travail avec rigueur : nous n’avons pas détourné les archives, nous avons vérifié chaque image que nous avons utilisée. Nous savions donc que ce que nous disions s’approchait de la vérité. Quand on est amateur, on filme ce qui est le plus spectaculaire dans ce qu’on voit. Or, ce n’était pas forcément le plus spectaculaire que nous voulions retransmettre.

 

« History Catchers” est disponible sur Arte.Tv.

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