a8a182804c LES IMAGES AMATEURES DANS L’OBJECTIF DES MÉDIAS - Le Magazine. Médias- Archipop

Les Films

LES IMAGES AMATEURES
DANS L’OBJECTIF DES MÉDIAS

journaliste
Auteur(e) : Inès Edel-Garcia

Publié le 5 mars 2021

Jean-Marie Charon : “Il est désormais difficile
pour les rédactions d’ignorer les contenus amateurs”

Jean-Marie Charon est sociologue, chercheur associé à l’EHESS. Ses recherches et son enseignement portent sur les médias, en particulier la presse écrite et les médias numériques, mais aussi le journalisme et l’information. En 2018, il a publié l’ouvrage Rédactions en invention. Essai sur les mutations des médias d’information aux éditions UPPR. Pour Public Image Unlimited, il revient sur les rapports qu’entretiennent les médias avec les images amateurs.

 

Comment a évolué la perception qu’ont les médias des films tournés par des amateurs ?

La première fois qu’une rédaction a repensé son traitement des contenus amateurs, c’est lors des attentats de Londres en 2005. D’un seul coup, la BBC a été submergée d’images d’amateurs et a dû se poser la question : “que faire avec ces images ?”. Ils se sont rendu compte qu’il fallait imaginer un protocole pour à la fois juger la qualité de ces images et vérifier qu’un certain nombre de ces images étaient bien authentiques. C’est en effet l’un des paradoxes de ces vidéos liées à l’actualité : très tôt, on a vu arriver des images qui étaient des images bidons. Je me souviens de Pascal Riché de Rue89 m’expliquant, au moment des tremblements de terre d’Haïti en 2010, qu’ils avaient reçu beaucoup d’images et qu’ils avaient été surpris de voir des vidéos, certes de catastrophes, mais pas de celle-ci en particulier.
Désormais, toute rédaction sait qu’elle peut être inondée de vidéos amateurs et doit immédiatement savoir comment les traiter. Cela implique par conséquent plus de vérification, d’analyse des métadonnées etc.

 

Certains médias sont néanmoins plus réceptifs à ces contenus que d’autres. Est-il possible de distinguer plusieurs approches des contenus amateurs selon les médias

Dans une première période, ce sont les pure players [ndlr : sites web d’information sans édition papier] habitués à travailler avec les réseaux sociaux, qui ont été les premiers à considérer ces contenus comme importants. C’était souvent des petites rédactions qui n’avaient pas les moyens d’envoyer des gens sur le terrain et qui avaient une culture du participatif avec l’ambition d’intégrer du contenu venu des internautes.
Les grandes rédactions ont eu plus de réticences dans la mesure où elles avaient, surtout pour les télévisions, des préoccupations de forme : “est ce que ces images sont bonnes ?”, “est-ce que l’angle est intéressant ?”, “est ce que ces images sont informatives ?”, des critères qui ont donc rendu l’accès à ces images amateurs plus compliqué. Mais de la même manière qu’il est désormais difficile pour les rédactions d’ignorer ce qui se passe sur les réseaux sociaux, il est difficile d’ignorer les contenus amateurs. Et aujourd’hui, face à un événement important, c’est une matière immédiatement considérée comme méritant un intérêt.

Un autre aspect à prendre en compte est l’importance des événements. Un événement de première importance peut en effet conduire à ce que beaucoup de gens aient le réflexe de capter l’événement et de se tourner vers les médias. Après l’attentat de Nice en 2016, un certain nombre de journalistes m’ont expliqué que des personnes leur avaient proposé non seulement des vidéos mais aussi de leur vendre ces vidéos. Les gens savent que les images se monnaient et se disent qu’il n’y a pas de raison de donner une vidéo à un grand média. Les médias français n’ont pas trop cette culture, alors que les Anglo-saxons, eux, n’ont aucun problème à acheter des documents proposés par des sources.

 

S’agissant de films d’archives amateurs, on parle volontiers de “cinéastes amateurs” soulignant souvent le souci de mettre en scène le réel, selon des codes bien spécifiques. A contrario, pour les images plus récentes, on fait d’avantage référence au terme de “reporter amateur”, avec l’idée de documenter le réel à l’état brut et en direct. Cette nouvelle terminologie traduit-elle un vrai changement de perspective par rapport au sens et au traitement de l’image, ou est-ce tout simplement un biais lié au regard que nous portons sur notre propre époque ?

Nous avons eu toute une période où actualité et cinéma cohabitaient. Quand on se rendait au cinéma, il y avait les actualités cinématographiques [ndlr : une série de courts-métrages qui se présentaient sous la forme d’un montage d’informations documentaires projetés juste avant le long-métrage à l’affiche]. Il y avait donc un lien plus intime entre le cinéma et le fait de capter les événements. Je pense que cette référence-là a disparu. Assez naturellement avec l’arrivée de la télévision, cette notion de captation par l’image est devenue de plus en plus familière à la société, ce qui explique sans doute que cette écriture du réel fasse aujourd’hui davantage penser aux médias qu’au cinéma.

 

Parmi les autres évolutions à souligner, n’y-a-t-il pas aussi la conscience plus accrue aujourd’hui de pouvoir passer à la postérité, grâce à une captation du réel justement ?

Je ne sais pas si les personnes qui s’investissent dans la production de vidéos amateurs ont cette idée de postérité. Je crois qu’il s’agit plutôt de profiter d’une certaine notoriété. Ce qui se joue, c’est donc plus la réputation immédiate que la postérité dans le temps. Par ailleurs, nous sommes déjà en train de faire l’expérience de documents qui disparaissent : des cassettes vidéo ou audio qu’on ne peut plus utiliser, des disquettes qu’on ne peut plus lire. Je crois qu’avec le numérique, nous produisons également des choses assez éphémères car les supports numériques ont eux aussi des durées de vie relativement courtes. Si nous n’anticipons pas la dégradation de ces supports, nous allons perdre énormément de contenus. Tout ce qui se capte aujourd’hui est menacé de la même manière, y compris des événements importants. Il faut en stabiliser la mémoire.

 

Quelles sont les images tournées par des amateurs qui ont le plus marqué “votre” histoire de l’information ?

Ce qui m’a certainement le plus marqué, ce sont les images des avions qui sont venus se percuter sur les tours jumelles du World Trade Center à New York, en 2000. Je me souviens du moment et du lieu où j’étais. C’était un télescopage entre la nature de l’événement et le fait qu’on était à un moment de diffusion planétaire instantanée. Certaines images ont été tournées par des amateurs, mais d’autres aussi par des professionnels. Parmi les images qui m’ont marqué et qui marquent aussi un changement de période, il y a celles du tsunami en Asie du sud-est en 2004. D’habitude, on recevait quelques images produites par des médias traditionnels avec un décalage dans le temps. Là, c’était essentiellement des images amateurs et une fois encore, c’était un phénomène planétaire et instantané. Enfin, il y a les images plus ou moins amateurs, découvertes sur les réseaux sociaux, du meurtre d’un policier par les tueurs de l’attentat contre Charlie Hebdo et de leur fuite.

 

Selon vous, quelles images tournées par des amateurs ces dernières années pourraient à terme endosser une valeur d’archives historiques ?

Je pense à celles des Printemps arabes parce qu’elles s’inscrivent dans une histoire et dans une région qui ont été particulièrement bousculées. C’était tout à fait inédit que des mobilisations sociales soient ponctuées d’images pendant toute la durée des événements. Je crois que c’est quelque chose qui va rester, notamment parce que l’épisode s’est souvent refermé très rapidement après. On va avoir d’autant plus envie de retrouver des traces de ce qui s’est passé.

 

Propos recueillis par Inès Edel-Garcia le 4 mars 2021

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