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Les Films

Chroniques cinématographiques

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Auteur(e) : Milana Tsakaiev

Publié le 1 décembre 2022

Claude Vandermaesen sur l'état d'esprit à adopter dans un ciné-club

Le C.C.D.F., le Ciné-Club des Flandres, est l’un des premiers clubs des Hauts-de-France. De sa création en 1936 à sa disparition en 1975, le club a formé de nombreux cinéastes amateurs, grâce à la création de nombreuses sous-sections dans la région, mais aussi avec la publication d’une revue mensuelle : Vu par Vues.           

Dans le cadre de l’écriture de l’histoire des clubs de cinéastes amateurs, nous vous proposerons régulièrement la publication d’anciens articles, comme un retour en arrière montrant les différentes étapes de l’histoire d’un club, représentant aujourd’hui une partie du patrimoine culturel des Hauts-de-France.  

En guise d’introduction, un article paru dans le numéro 187 de Vue par vues en octobre 1953, d’un des membres du C.C.D.F., Claude VANDERMAESEN, qui nous explique l’état d’esprit à adopter dans un ciné-club.

 

« Cinéma et Culture 

                Nous nous sommes tous plusieurs fois posé la question de savoir ce que nous venions faire au Ciné-Club.

                Bien sûr, nous y venons pour retrouver tous les vendredis cette atmosphère sympathique et si spéciale qui est l’apanage de ceux qui ont en commun un même idéal, ou un même « dada ».

                Certes, nous y venons apprendre cette technique tant décriée, mais qui reste tout de même qu’on le veuille ou non, une des pierres angulaires sur lesquelles repose le cinéma. Plus que cela : nous essayons même de nous en imprégner au point d’attendre ce stade où la cinéaste n’a plus besoin de penser à elle : la technique fait si intimement partie de lui-même qu’elle lui « sort par tous les pores ». Dégagé de toutes les contingences matérielles et de toutes les servitudes scientifiques qui risqueraient de la paralyser ou de le scléroser, le cinéaste peut alors prendre son envol et s’exprimer par le cinéma avec la même facilité que Monsieur Jourdain s’exprimait en prose.

                Certes, nous nous contentons parfois de venir assister à la projection d’un « beau » film d’un « grand classique » qui a déjà fait carrière, pour ressentir le plaisir intérieur que suscite le seul spectacle contemplatif et émerveillé de vues élégamment prises et habilement montées.

                Mais pourquoi diable, nous astreindre à assister à la projection de bande de moins bonne qualité, et parfois franchement mauvaises, en tout cas d’un fastidieux particulièrement énervant ?

                Serait-ce pour jouir ensuite du plaisir sadique de voir le malheureux auteur déchiqueté par les crocs de nos terribles censeurs de le voir « conditionné », au sens du XVIIe siècle, par nos bourreaux modernes, et jeté en pâture, tout en pantelant, à un public toujours friand de spectacles de ce genre ?

                Cinéastes, serions-nous d’abominables refoulés ?

                Croyez-moi, il ne s’agit pas de jouer ici au censeur ou au moralisateur. Mon propos de ce jour est plus modeste : au seuil de l’année cinématographique, il m’a simplement paru utile de préciser le rôle même d’un ciné club, quel qu’il soit.

                La véritable raison de notre existence en tant que club, c’est de favoriser notre épanouissement intellectuel. Nos réunions du vendredi soir doivent avant tout être l’occasion pour nous de nous enrichir, en un mot de nous cultiver. Ce désir que nous avons tous, ce but vers lequel nous tendons, c’est ce qui justifie toutes les projections, toutes les discussions, toutes les décisions que nous pouvons prendre…

                Que l’on me comprenne bien. Il ne s’agit pas pour le club des Cinéastes amateurs des Flandres de devenir une des ces doctes assemblés, où sous couleur de culture, on se perd en discussions byzantines sur tel ou tel détail. Il ne s’agit pas pour le C.C.D.F. de devenir une succursale de l’Académie Française où l’on discuterait du premier octobre au 14 juillet du mot « caméra » en examinant les 333 sens possibles. Mais si à l’inverse nos discussions doivent se borner à épiloguer sans cesse sur l’intérêt qu’il y a à utiliser un pinceau à trois poils de 27 millimètres 3/10es pour écrire la lettre « P » de « présente », alors nous n’avons plus qu’à fermer boutique et à aller fonder un ciné club chez le roi « Ubu ».

                Mais ce vers quoi doivent tendre tous nos efforts, c’est à cultiver ces qualités qui, au grand siècle, définissaient « honnête homme », ce dosage de savoir, de bon sens, de goût, de tact, d’élégance, de technique, de beauté, de prestance, qui faisaient de celui qui les réunissait un homme parfait, un corps et un esprit au service d’une civilisation.

                C’était là un idéal de mesure bien fait pour séduire un peuple dont on se plaît à dire qu’il est le plus intelligent de la terre.

                Peut-on croire que nous sommes restés les mêmes, lorsque nous devons voir ces affligeantes productions, qui, bien souvent, trop souvent, s’ébattent sur nos écrans avec une insolence qui n’a d’égale que leur médiocrité ? La critique n’est-elle pas alors une juste revanche de l’esprit et de la culture sur ces lamentables échecs ?

                La culture implique la mesure disais-je plus haut. Mais n’est-ce pas aussi le manque de mesure que nous critiquons le plus souvent à nos séances ? N’est-ce pas souvent la prétention de certaines bandes qui en font apparaître plus crûment les faiblesses.

                La critique personnelle et la discussion qui doit être la confrontation de ces idées personnelles, l’extériorisation de ce travail intérieur préalable, voilà ce qui en définitive forme notre esprit, nous permet d’apprécier ce qui dans un œuvre est beau, réussi, intelligent, ce qui est positif et en fin de compte nous enrichit, nous cultive.

                Mais la culture qui se spécialiserait perdrait ses qualités.

                C’est pourquoi il m’apparaît que nos séances ne doivent pas se borner à quelques projections. Nous devons constamment faire des rapprochements, avec ce qu’ils peuvent avoir de désagréable pour notre amour propre, avec les nombreux films, dits professionnels que nous devons voir. Nous ne pouvons non plus manquer de faire des comparaisons avec d’autres branches de l’Art, théâtre, peinture, etc…

                Ce n’est qu’à ce prix que nos séances du vendredi vaudront quelque chose.

                L’admiration béate n’est souvent qu’une attitude paresseuse ou hypocrite. Elle n’est jamais enrichissante.

                Alors le cinéma par sa puissance de persuasion et d’évocation est l’art qui touche le plus le spectateur. Il devrait donc provoquer le plus de réactions de la part de ce dernier. C’est à nous à faire effort pour qu’il ne nous laisse pas indifférents. »

Claude VANDERMAESEN

Bulletin du C.C.D.F.,Vue par vues,  n°187, octobre 1953

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