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« LA CHICORÉE LEROUX OU LE JEU DES SEPT FAMILLES »

SIGNATURE ARCHIPOP
Auteur(e) : Rosine Lefebvre

Publié le 24 juillet 2024

« La chicorée Leroux ou le jeu des sept familles »

Profitez de l’été pour préparer vos papilles !

 

❧ Enquête sur les terres de la chicorée cultivée
Culture et agriculture ont plus qu’une assonance en commun.
Défricher la terre et l’enrichir.
Creuser le sillon.
Sélectionner les meilleures graines.
Ensemencer.
Être attentif à la croissance de la plante et à ce qui la parasite ou la freine.
Récolter au meilleur moment.
Nettoyer, couper, laisser reposer.
Transformer le matériau brut en denrée consommable.
Soigner l’empaquetage.
La réalisation des podcasts a suivi un cheminement similaire à la culture de la plante qui en est le sujet.

Au départ, Archipop dispose d’un fonds d’archives audiovisuelles composé principalement de publicités diffusées par l’entreprise à la radio et à la télévision, ou de films institutionnels. 768 éléments : 354 bandes sons, 9 supports 16 mm, 295 supports 35mm et 110 supports magnétiques datant des années 1960 à 1970.
Ce fonds, déposé par l’entreprise Leroux, est issu des collections de la Maison de la chicorée à Orchies, qui a fermé ses portes en 2018.

❧ Défricher le terrain.
Identification des supports et de leur qualité technique, choix des numérisations à effectuer, transcription des audios, indexation, documentation, c’est le travail préalable effectué par Charlène Auvinet, chargée de la gestion des collections.
On est en janvier 24. C’est à ce moment-là que j’entre dans l’aventure.

Avant de pouvoir tracer l’itinéraire, il fallait plonger à mon tour dans cette matière sonore : écouter dans le détail chaque document, me familiariser avec les thématiques et analyser les arguments publicitaires, prendre en compte la qualité sonore, prendre des notes sur les timbres de voix, les musiques additionnelles, pointer les petits incidents potentiellement intéressants, répertorier le tout dans un grand tableau. Travail de patience, parfois fastidieux, qui s’avérera indispensable à toutes les étapes du travail et tout particulièrement pour les choix de support au moment du montage, soit la sélection des graines !

❧ Enrichir la terre.
La connaissance de l’histoire de l’entreprise et du processus de fabrication du produit était la seconde étape du travail de recherche. Deux films institutionnels du fonds Leroux ont largement contribué à cet enrichissement : Les secrets de la fleur bleue ou la racine mystérieuse de Georges Pessis (1987) et Chicoria, des racines et des hommes de Christian Delebarre (1998), ce dernier produit par la Maison de la Chicorée pour son inauguration. Des écrits, notamment le livre de Dominique Neyrinck, La saga Leroux, ont complété la réflexion en cours.
Ces documents étaient riches en informations de tous ordres : la plante, sa culture sur les terres du Nord et le processus de la transformation de sa racine, ses vertus médicinales à travers le temps, l’histoire de l’entreprise depuis sa création en 1858, sa traversée du XXe siècle, les éléments biographiques de Robert Leroux, racontés par lui-même…

Mais alors, quelle pouvait être la méthode pour faire œuvre originale, se démarquer des supports existants et ne pas se contenter de les ré-agencer ou de les mixer entre eux ?

❧ Structurer l’espace à cultiver
Premier élément de méthodologie: définir une colonne vertébrale qui permettrait d’aborder les spécificités de chaque thématique dans un ensemble cohérent. La notion de famille m’est apparue rapidement comme une évidence :
• La chicorée fait partie d’une famille en botanique
• L’entreprise Leroux est restée 130 ans dans la même famille dont elle porte encore le nom
• L’histoire contemporaine de la ville d’Orchies a été fortement marquée par l’entreprise, qui faisait travailler
des familles entières sur son territoire.
• Sur le plan économique, l’organisation en filière peut aussi s’apparenter à une famille
• Dans les spots radio, les publicitaires s’adressent nommément à la « mère de famille », ou « ménagère », avant d’élargir la « cible ».
• Les scénarios de la saga télévisée des « jumeaux de la chicorée » mettent régulièrement en scène des situations familiales: les petits déjeuners, le départ à l’école, les loisirs, les vacances, les courses au supermarché , etc.
• L’argument de santé appartient à la sphère de l’intime, au sein de la cellule familiale.

Ainsi se sont dessinées sept thématiques rattachées à cette idée. L’occasion était trop belle pour ne pas proposer le célèbre jeu de cartes et en faire un leit-motiv dialogué au début de chaque épisode: « dans la famille …, je demande … » .

❧ Faire entendre des paroles expertes
Second élément de méthodologie: rendre vivants les podcasts par une parole d’aujourd’hui.
Je me suis alors mise en quête de personnes avec qui réaliser des entretiens.
La recherche, longue de plusieurs semaines, car le terrain m’était inconnu, a été fructueuse, grâce à l’implication initiale de connaissances puis au « téléphone arabe ».
J’ai ainsi rencontré cinq anciens salariés de l’entreprise ou de la maison familiale, deux cultivateurs, un natif d’Orchies, le président de l’association « Parts de mémoire » et une phytothérapeute-naturopathe, dont j’ai enregistré les témoignages.

❧ Multiplier les variétés
Les Archives Nationales du Monde du Travail (A.N.M.T.) situées à Roubaix sont dépositaires des documents papiers du fonds Leroux, acquis, comme les archives audiovisuelles d’Archipop, après la fermeture de la Maison de la Chicorée.
L’équipe des A.N.M.T, partie prenante dans cette aventure, a travaillé avec moi pour identifier ce qui serait pertinent pour les podcasts dans l’énorme masse de documents conservés ( rapports internes, études scientifiques, études de marché, correspondances, propositions de l’agence publicitaire, affiches, articles de presse …)
Nous y avons déniché notamment quelques perles rares et originales – comme des chansons ou poèmes, une lettre à un grand chef d’état inattendu, la recette d’une utilisation improbable de la chicorée – apportant de l’humour à l’investigation plus sérieuse d’autres documents.

Deux comédiens, Jean-Yves Berteloot et Cassandre Hornez ont donné leur voix à ces archives, au leit-motiv du jeu des 7 familles ou à une parodie d’une scène du Malade Imaginaire de Molière.

❧ Éviter la surproduction
L’extrême richesse historique du sujet et ses nombreuses ramifications nécessitaient de se concentrer sur une époque restreinte.
Le choix s’est porté sur les années 1947-1998, correspondant à direction des frères Leroux, Alain et Robert, derniers descendants de la famille à la tête de l’entreprise. Les anciens salariés rencontrés les avaient côtoyés et l’essentiel des matériaux sonores dont nous disposions dataient des années 60-70. La période était à la fois suffisamment proche pour être présente dans la mémoire collective, directement ou indirectement, et suffisamment éloignée pour permettre un recul analytique. Les films du fonds Leroux, qui relatent l’histoire de l’entreprise depuis 1858, mis à disposition du public sur le site d’Archipop lors de la publication des podcasts, complèteraient les éventuels manques, avec l’avantage d’offrir des images superbes et indispensables à la contextualisation du récit historique.

❧ Pour patienter
En attendant l’écoute des 7 épisodes, de durée moyenne de 20 à 25 minutes, qui seront publiés à partir de fin septembre, voici les derniers mots de la série:
« Que conclure à la fin de ces jours, de ces semaines, à l’écoute des sons, des voix d’hier et d’aujourd’hui, qui nous ont parlé de la chicorée ?
L’entreprise Leroux, qui naquit avec l’éclosion industrielle du XIX ème siècle, a traversé les paysages du XX ème et leur relief accidenté, notamment par les deux guerres mondiales. Elle a survécu, résisté aux tourments économiques, elle a souvent innové et gagné des territoires. Elle raconte cette contradiction d’un paternalisme historique qui a tout à la fois fertilisé et stérilisé.
Elle raconte la transformation d’une économie familiale confrontée à la mondialisation. Elle raconte aussi l’histoire d’une région, le Nord, ses hauts (de France) et ses bas, ses habitants au visage rural sous le masque de l’industrie, aux mains noires et blanches, entre charbon et textile, mais jamais vraiment éloignées de la terre.
Il n’y a pas de nostalgie à avoir, ce n’était pas idyllique. C’est une mémoire à transmettre, la parole de femmes et d’hommes qui ont aimé nous raconter leur travail. Qu’on le veuille ou non, qu’on en ait conscience ou pas, cette mémoire, ces paroles nous constituent et nous émeuvent. Et la mémoire, c’est comme la chicorée, c’est la santé ! »

Texte Rosine Lefebvre