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Les Films

SUR LA PLAGE DE BELFAST

journaliste
Auteur(e) : INÈS EDEL-GARCIA

Publié le 1 juin 2021

HENRI-FRANÇOIS IMBERT, CINÉASTE DE L'INSTANT DÉCISIF ET DU SOUVENIR

Au début des années 1990, Henri-François Imbert reçoit en cadeau une vieille caméra d’occasion achetée par sa petite amie Susan chez un brocanteur en Irlande du Nord. À l’intérieur : une bobine oubliée d’un film Super 8. Henri-François Imbert décide de la faire développer et découvre un film familial de deux minutes, resté inachevé. Sur ces images, apparaît une famille à la plage, puis une femme qui s’avance vers la caméra munie d’un plateau en argent. Le jeune cinéaste se lance un pari fou, celui de partir à la recherche de cette famille pour lui remettre le dit film. Le moyen-métrage “Sur la plage de Belfast” (1996) retrace son parcours. À 53 ans, le documentariste et enseignant-chercheur revient pour Public Image Unlimited sur cette extraordinaire épopée et sur ce qui le lie depuis toujours au cinéma amateur.

Avant de recevoir cette caméra offerte par Susan, quel rapport entreteniez-vous avec les films amateurs ? Vous en réalisiez vous-même ou en collectionniez ? 

J’ai commencé à filmer il y a un peu plus de 30 ans. J’aimais beaucoup les caméras Super 8 et je faisais quelques films amateurs. Je filmais les amis, les voyages et la famille, ça se répartissait un peu comme ça. Mais je n’ai jamais filmé une réunion de famille par exemple. J’avais fait un petit film pour le mariage de ma sœur que j’avais appelé “Le mariage de ma frangine”, mais c’était pas du cinéma amateur au sens traditionnel du terme, c’était plus sur un mode humoristique. 

Et puis, très vite, des rencontres aléatoires. Tout à coup, quelque chose m’intéressait et je me mettais à filmer. Je me souviens, à Londres, j’avais sorti ma caméra Super 8 pour filmer un milkman, ce personnage avec son petit camion qui livrait le lait. Je ne le connaissais pas et avec ma caméra Super 8 sonore, nous avons fait un court entretien. L’idée pour moi était de pouvoir avoir une caméra tout le temps sur moi. C’était quelque chose de quasi intuitif. 

Quand Susan m’a offert la caméra, c’était donc pour la caméra elle-même, pas pour le film. Mais je ne collectionnais pas les caméras. Un vrai collectionneur en aurait une centaine alors que moi, j’en ai une quinzaine. Je les ai toujours achetées pour les utiliser. 

 

D’où tenez-vous cet intérêt pour les caméras Super 8 ? 

Chez moi, il n’y avait jamais eu de caméra, mon père n’avait qu’un appareil photo. Mais adolescent déjà, j’étais très cinéphile, j’allais au cinéma du Quartier latin. Pour autant, je n’étais pas abonné aux Cahiers du cinéma et je ne m’étais jamais dit que j’allais faire des films plus tard. C’était une cinéphilie du plaisir et de la découverte. 

Et puis, je me suis retrouvé étudiant à Amiens et un copain m’a entraîné au Festival du Film d’Amiens auquel j’ai collaboré en tant que bénévole entre 1986 et 1989. Là-bas, j’ai commencé à rencontrer des cinéastes, notamment des cinéastes africains, j’étais disponible pour apprendre et c’est à ce moment-là qu’on m’a prêté une caméra Super 8. Ma première séquence était filmée depuis ma fenêtre et montrait la construction d’un théâtre à côté de chez moi. On y voyait une charpente de métal et des gars qui réceptionnaient des poutrelles. Je filmais une action continue, un devenir, quelque chose qui était en train de se passer – la poutrelle aurait pu tomber par exemple. 

Quelques semaines plus tard, j’ai rendu la caméra et mon colocataire m’a dit : “Mon oncle est douanier et il a saisi des caméras. Si tu veux, viens chez mes parents en banlieue ce week-end pour en choisir une”. Ma première caméra à moi était donc une caméra de contrebande. Il y en avait trois : j’ai pris la plus petite, un objet léger facile à mettre dans sa poche. Ensuite, j’ai acheté des caméras encore plus petites, des FUJI, dont on ne peut plus se servir aujourd’hui puisque la pellicule n’est plus fabriquée. 

 

Sur le volet technique, comment avez-vous traité le film qui se trouvait dans la caméra offerte par Suzan pour pouvoir ensuite mener votre enquête et montrer ces images autour de vous ? 

Comme on le voit dans “Sur la plage de Belfast”, je suis allé à l’improviste chez Kodak, sans rendez-vous, ni demande d’autorisation officielle. J’ai expliqué ma démarche au technicien et lui ai demandé si je pouvais le filmer. Je l’ai donc filmé pendant qu’il faisait cette expertise en direct [ndlr : le film retrouvé date d’après 1983]. J’ai fait faire un télécinéma pour obtenir des éléments de qualité que j’ai convertis sur une cassette VHS. J’ai aussi fait développer cinq photos extraites du film. 

 

Dès le départ, dans votre voyage en Irlande du Nord, vous embarquez avec vous une caméra. Vous étiez certes dans quelque chose de très expérimental et empirique, mais vous aviez l’intuition que cette enquête allait vous mener quelque part. Que se serait-il passé si vous n’aviez pas retrouvé les propriétaires du film ? 

Je crois que j’aurais quand même fait un film, puisque je filmais tous les jours, j’écrivais dans mon carnet les notes qui allaient constituer la narration. Ça aurait été moins heureux, mais ça aurait pu être une enquête qui n’aboutit pas.

 

En termes de droit à l’image, pensez-vous qu’il aurait été possible de diffuser ce film sans le consentement des personnes qui y apparaissent ?

C’est une question que je ne me suis jamais posée puisque je les ai retrouvés et qu’ils ont adhéré à cette idée. Mais c’est vrai que si je ne les avais pas retrouvés, ça aurait été délicat. Je pense que je n’aurais pas pu montrer un film familial, privé comme celui-ci.

 

L’une des particularités de votre court-métrage est qu’il est tourné juste après le cessez-le-feu du conflit nord-irlandais. La petite histoire aurait pu venir percuter plus frontalement la grande Histoire, mais vous vous contentez de l’effleurer, voire de la contourner. Pourquoi avoir choisi de ne pas traiter la fin des Troubles ?

Il y a une scène où on voit John Major [ndlr : premier ministre de Grande-Bretagne de l’époque] qui arrive. Je suis entouré de journalistes indépendants et de chaînes de télévision qui sont tous avec leurs caméras. Il y a clairement un appel à faire comme les autres et en même temps, personne ne m’a demandé de le faire, je ne suis même pas formé pour ça. En réaction à cela, j’ai fait ces plans Super 8 où l’on voit des gens qui sortent de l’hôtel de ville, autrement dit j’ai fait du film amateur au lieu de devenir un journaliste. J’ai gardé ici ma place de cinéaste poétique qui part d’un objet poétique, fragile, aléatoire et qui trouve quelque chose à raconter. C’est du cinéma documentaire mais c’est une histoire que j’invente, dans le sens où je décide de la vivre, de créer l’espace pour que ce soit possible. C’est un arbitrage auquel je me suis tenu après, lorsque l’on m’a proposé des films de commande pour des chaînes de télévision que j’ai refusés.  

 

Quelle place prennent les images amateurs dans votre œuvre en général ?

Dans chacun de mes films, il y a toujours un matériel que l’on peut assimiler comme “amateur”. Il y a toujours plusieurs supports : de la vidéo, du Super 8, du 16 mm, des cartes postales anciennes, des photographies qui viennent de moi ou d’ailleurs etc.

Mon dernier film sorti en salle en 2018 [ndlr “André Robillard, en compagnie” sur le sculpteur français représentant de l’Art Brut] a été filmé sur 25 ans. Il y a à la fois des séquences de “vrai” tournage et des séquences en Super 8 qui sont juste la trace d’un moment passé ensemble. Dans mon film sur la Retirada [ndlr : “No pasarán, album souvenir”], je pars d’une série de cartes postales publiées en 1939 et découvertes enfant, et à un moment il y a du Super 8, avec Susan quelques années plus tôt. Dans “Doulaye, une saison des pluies”, je pars au Mali à la recherche d’un ami de mes parents. Je le retrouve et je lui montre un film Super 8 de mes parents qui devient une des séquences du film. Il y a toujours des allers-retours comme ça.

 

À la fin de “Sur la plage de Belfast”, vous dites en voix-off : « On tourne ces images pour lutter contre le temps qui passe, contre la disparition de ceux qu’on aime ». Pour vous, c’est à ça que se résument les films amateurs, en particulier les films de famille : immortaliser un moment de vie dans le mouvement ? 

Oui, c’est une hypothèse que je fais à la fin du film, mais je ne sais pas si ça se résume à ça. On croit qu’on va revoir ces films, mais en fait, on ne les revoit pas. Personnellement, j’ai plusieurs centaines de bobines, mais je ne les visionne jamais. Alors, pourquoi on fait ça ? Pourquoi on prend des photos ? Pourquoi on filme ? Ce n’est peut-être pas forcément pour l’objet qui va en découler, mais pour le plaisir de filmer un instant. De là à dire qu’on pourrait filmer sans mettre des pellicules dans la caméra…

 

Vous enseignez par ailleurs le cinéma documentaire à l’université Paris 8 à Saint-Denis. Comment sont perçus les films d’archives amateurs par vos étudiants aujourd’hui ? Est-ce que c’est un matériau qui les intéresse à l’heure où presque tout le monde est équipé d’une caméra sur son smartphone ? 

Oui, j’ai des étudiants qui se réapproprient des films amateurs qu’ont fait leurs parents quand ils étaient petits et qui se lancent dans un travail presque analytique, d’introspection au sein de leur propre famille. J’ai un élève qui traite plus spécifiquement de la séparation de ses parents à partir de films d’archives et de séquences de ses parents aujourd’hui. J’ai aussi eu un étudiant qui filmait sa grand-mère. 

Cette année, dans mon atelier de Licence 3, il y a un étudiant qui a acheté une caméra Hi8, un format amateur d’il y a 30 ans, avant la MiniDV. C’est avec ça que j’ai tourné les images de “Sur la plage de Belfast”. On a une image moins précise, mais plus douce. Son projet s’appuyait sur une phrase que j’avais dite lors du premier cours : “Faire du cinéma documentaire, c’est faire avec ce que l’on a”. Avec le confinement, il a donc choisi de filmer les conversations avec ses amis qui défilaient sur son canapé.

 

Qu’est ce qui définit le film amateur du coup ? Est-ce le degré de compétences du filmeur ou l’outil utilisé ? 

On pourrait dire que c’est l’outil, mais en même temps, la pression sociale nous oblige à acheter une caméra chère, un outil professionnel. De mon côté, ce n’est pas parce que je suis passé à des vrais documentaires que j’ai arrêté de tourner en Super 8. Le problème, c’est que c’est très fragmentaire : la bobine dure trois minutes et coûte cher. 

Mais le geste d’un cinéaste peut se faire avec n’importe quelle caméra. Avec une caméra amateur, on peut faire de grands films. Jean Rouch a par exemple tourné des films avec de la pellicule inversible Kodak. 

Le cinéma amateur, c’est le cinéma sans autre projet véritable que de filmer l’instant. Il n’y a pas de travail d’écriture. C’est plutôt quand on se dit : “Tiens, je vais allumer la caméra, ça fera un souvenir !”.

 

Propos recueillis par Inès Edel-Garcia le 22 avril 2021

 

“Doulaye, une saison des pluies” bientôt disponible sur la plateforme Tënk

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