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Les Films

BONS BAISERS DU BLED

journaliste
Auteur(e) : Inès Edel-Garcia

Publié le 15 juillet 2021

Linda Bendali : « Filmer était une façon de revivre le bled en famille dans son HLM, en attendant d’y retourner »

Chaque été, entre les années 70 et 80, des familles entières d’immigrés maghrébins ont pris la route en direction du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie. Un voyage initiatique soigneusement préparé par les parents, désireux d’accrocher leur descendance au pays natal après avoir caché la mélancolie de l’exil dans leur quotidien. Il y a d’abord les cadeaux que l’on chine tout au long de l’année pour la famille restée au pays, les malles et les cabas que l’on fixe sur la galerie supérieure de la voiture, les souvenirs de stations-services, la traversée de la Méditerranée en bateau jusqu’aux retrouvailles au bled. Sur place, les enfants de la deuxième génération confrontent un pays fantasmé à sa réalité et commencent à façonner leur double culture. Cette histoire intime et collective, la journaliste et réalisatrice Linda Bendali la raconte aujourd’hui dans « Bons baisers du bled », un documentaire qui réunit plusieurs films d’archives amateurs.

Comment est né « Bons baisers du bled » ?

À l’origine, il y a d’abord eu « Bons baisers de Moscou » avant « Bons baisers du bled », un documentaire basé sur des films d’archives des voyages en Union Soviétique réalisés par des Français qui allaient confronter leur idéal communiste. Des films qui participaient aussi de la propagande. Marion Claus, qui est productrice chez Zed, a trouvé que ces archives personnelles étaient une matière intéressante à développer et m’a proposé d’être la réalisatrice de « Bons baisers du bled » dont le sujet résonnait avec des discussions que nous avions eues autour de l’immigration et de l’identité.

 

Pourquoi avoir travaillé sur des archives familiales ? Est-ce parce qu’il y avait une pénurie de ce genre d’images dans le domaine public ou était-ce par pur choix éditorial ?

C’était un choix éditorial fort auquel j’ai complètement adhéré. L’idée était de raconter ces vacances-là avec la voix et les yeux des personnes concernées. Les témoins qu’on interroge aujourd’hui sont ceux qui ont filmé à l’époque. Il était donc important de prendre ces films comme base de travail en écho au récit qu’ils en font aujourd’hui. C’était une façon de dire : « On est de leur côté ». Témoigner face caméra, c’est déjà très subjectif, donc en récupérant ensuite des films et des photos, nous étions dans l’aboutissement de cette subjectivité.

 

Comment avez-vous récolté ces images d’archives familiales ?

Ça a été compliqué parce qu’on s’adressait à un public d’immigrés et d’enfants d’immigrés donc plutôt dotés de faibles moyens. Or, l’achat d’un caméscope avait un coût, ce qui explique que très peu de personnes en avaient. Avec Léa Péruchon, qui m’a aidée sur ce projet. Nous avons contacté les associations liées à ces thématiques et nous sommes passées par du bouche-à-oreille pour recueillir un maximum d’archives. Ensuite, en fonction du contenu de ces archives, nous avons rencontré les gens auprès desquels nous avions récupéré ces images. Ça a été extraordinaire car tous ces gens-là avaient un propos très fort, très structuré, un vrai attachement pour ces vacances.

 

Quel rapport les gens que vous avez rencontrés entretenaient-ils jusque-là avec ces archives familiales ?

Certains ont eu du mal à les retrouver tandis que d’autres avaient au contraire visionné, voire sur-visionné ces films au point que quelques-uns étaient un peu abîmés. Je leur ai demandé pourquoi ils avaient filmé et la plupart m’ont répondu qu’ils voulaient emmener un peu de ce pays dans leur quotidien. Le bled était très fantasmé et idéalisé. Surtout que parfois il fallait attendre un an, deux ans avant d’y retourner. Filmer était donc une façon de revivre le bled en famille dans son HLM. Une petite dose de bled en attendant d’y retourner. Ces films avaient aussi une deuxième fonction, celle de garder une trace de tous ces gens qu’on n’était pas sûr de revoir. Ces films permettaient de pallier la séparation et le déracinement.Il y a un attachement encore plus fort pour les premières générations, car c’est ce qui leur reste de leur pays d’avant, un pays qui a tellement changé depuis. En revanche, eux ne regardaient pas ces films tant que cela car c’était douloureux de regarder ce monde qui avait disparu. En ce sens, je crois que c’est beaucoup plus dur de regarder un film amateur qu’une photo.

 

Les témoins que vous interrogez aujourd’hui ont entre 40 et 60 ans, je dirais. Ça signifie que ce sont de très jeunes adultes qui ont tourné ces films à l’époque. C’est curieux car je trouve qu’une grande maturité transparaît dans ces images.

Oui, la fille de Salah a aujourd’hui 45 ans donc elle était adolescente quand elle filmait. La famille a aussi filmé. Généralement, c’était soit le père, soit l’aîné des adolescents qui filmait. Mais c’est vrai qu’on remarque une certaine lenteur des plans, il y a un côté contemplatif, un œil cinématographique qui est propre à ces images. On a des portraits assez longs, on suit les personnes dans leur action, on a des éléments de détail. Nous avons été surpris par la qualité de ces images. Nous nous attendions à ce que ça bouge dans tous les sens. Or, nous avons découvert une écriture visuelle et narrative propre, qui existait en effet dans les films amateurs.

 

Dans le documentaire, vous parlez de l’importance des cadeaux « made in France » apportés à la famille restée au pays pour faire la démonstration de la réussite économique par la migration. J’imagine que détenir une petit caméscope participait aussi de cette démonstration. Les habitants du bled auraient pu être attirés par cet objet ou au contraire, la caméra aurait pu instaurer une distance entre eux et ceux qui venaient de France. Et pourtant, les gens filmés montrent une certaine indifférence pour la caméra. Comment expliquez-vous cela ?

La caméra n’était pas considérée comme un attribut de richesse par les gens du pays. Ce n’était pas comme une voiture. Une caméra, ce n’était pas utile, c’était superflu, c’était propre à la famille. En plus, à l’époque, au fin fond de la Kabylie par exemple, il n’y avait pas la télévision. Quand certains foyers avaient la télévision, les programmes commençaient seulement à partir de 18h le soir avec des feuilletons égyptiens. En tout cas, je pense que ce n’était pas un enjeu pour eux de passer devant la caméra. On voit en effet qu’ils n’en font pas cas. Ils ne sont pas gênés et sont finalement assez naturels.

 

Vous expliquez dans le documentaire que les préparatifs des vacances au bled étaient l’un des rares moments de visibilisation des immigrés dans l’espace public en France. Ces cinéastes amateurs ont-ils filmé d’autres instants que les départs en vacances ?

Quand nous avons cherché des images des vacances au bled, nous avons dû faire le tri avec quelques rares films de mariage ou d’anniversaire en France, mais il n’y avait pas d’images de leur vie quotidienne. C’est le sens du retour au bled qui est fort. C’est la consécration : on vient rembourser sa dette, on montre qu’on n’a pas failli, qu’on tient ses promesses. C’est pour cette raison que le retour est très scénarisé. Quand on arrive au bled, il faut être les plus beaux : on choisit les plus beaux vêtements et on se parfume alors que l’on vient de voyager pendant deux jours dans des conditions difficiles.

 

Le documentaire a-t-il été l’occasion pour ces familles de dévoiler et transmettre leurs archives personnelles aux plus jeunes générations ?

Je sais que la plupart des gens ont vu le film en famille et que le documentaire est devenu un support de mémoire et de discussion familiale. On m’a remerciée d’avoir raconté cette histoire collective, d’avoir permis de ressortir certaines images. Certains avaient enfoui une partie de cette mémoire. On n’y retourne plus car on est pris par le quotidien, on met de la distance avec cette quête identitaire. Or, le film permet de se réapproprier cette histoire et de se rappeler d’où on vient. Certains m’ont dit « je réalise ce qu’a vécu ma mère dans l’exil ». C’est un film qui relance la mémoire.

 

Propos recueillis par Inès Edel-Garcia le 1er juillet 2021

« Bons baisers du bled » est disponible en replay jusqu’au 12 août 2021 sur le site de France TV

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