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LE PLUS BEAU JOUR DE TA VIE

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Auteur(e) : Rosine LEFEBVRE

Publié le 15 novembre 2023

Friction #9

Evénements familiaux 1946-49 – Films de Pierre Dubois – Collection Denis Dubois

Quand l’écriture se frotte à l’image documentaire…

Photos de mariages et films , robe de mariée et chapeaux, couronnes de fleurs en tissus et menus restent longtemps rangés dans les armoires et se passent de génération en génération, comme les témoins de ces événements marquants qui structurent les familles. Les jeunes hommes en rêvent-ils autant que les jeunes filles ? C’est elle, reine d’un jour, qui a le premier rôle. Et la mariée est belle au bras de son père, avant de l’être pour son époux.

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Longtemps elle a rêvé ce jour.
Celui où elle sera la reine du village. Elle marchera fièrement, au bras de son père, à la tête d’un long cortège, deux ou trois chérubins pour ouvrir le chemin, d’autres pour tenir la traîne. De la ferme à la mairie, de la mairie à l’église, et de l’église à la ferme, au premier coup d’œil, c’est elle qu’on remarquera, elle qui éblouira les gens sortis sur le pas de leur porte ou accoudés au rebord d’une fenêtre. La cohorte des demoiselles d’honneur ne lui fera pas ombrage, même vêtues de blanc et parées de fleurs ou de rubans. Elle seule aura le privilège du voile qui oblige au port de reine et impose la distance avec ceux qui marchent derrière.

Longtemps elle a rêvé ce jour.
Petite, elle aimait venir dans l’épicerie de sa grand-mère, après l’école et même les jours sans école. L’église était à l’autre bout de la place et la mairie sur le côté. Des mariages, elle en voyait souvent, dès que le printemps revenait, avec le retour des hirondelles. Des rituels, chaque fois différents. Les mariages riches, on les reconnaissait aux voitures noires, qui brillaient devant l’église comme des chaussures vernies, attirant les curieux et détournant l’attention du vrai spectacle. On apercevait trop furtivement la mariée avant qu’elle ne disparaisse dans l’un de ces carrosses.
Blanche préférait les cortèges à pied qui s’étiraient sur toute la place et prenaient leur temps. Elle pouvait détailler les chapeaux, les robes, les gants et tous ces accessoires qu’on ne porte pas tous les jours. Elle s’amusait de voir certaines femmes qui, passant devant le photographe, réajustaient une boucle de cheveux ou la tenue de leur coiffe, comme si leur vie en dépendait. Elle aimait guetter tous les petits incidents, tout ce qui clochait et qu’il faudrait éviter quand ce serait son tour. La robe semblait poser problème: ne pas se prendre les pieds dedans, surtout en montant les marches ; comment faire les jours de pluie sur les pavés mouillés ou le chemin boueux ? Comment briller pour la première danse sur le parquet de bal avec le bas de la robe noircie ? Mais il suffisait d’un rire dans le cortège qui passait pour que l’inquiétude s’évanouisse avant d’avoir trouvé la parade.

Longtemps elle a rêvé ce jour.
Quand elle a été demoiselle d’honneur au mariage de sa cousine, il lui a semblé que c’était la répétition avant le grand spectacle. La couronne de fleurs, le bouquet à la main, le garçon d’honneur, ému autant qu’elle de lui prendre la main. Même sans le voile, elle se sentait déjà princesse avant d’être reine. Elle prenait son rôle très au sérieux. Surtout pour la photo sur les marches de l’église. Elle avait remarqué que souvent on s’agitait en tous sens, que le photographe peinait à faire son travail et s’énervait parfois. Alors les sourires et les visages finissaient par se figer, tout devenait raide et solennel. Non, il ne fallait pas garder ce souvenir-là. Il fallait la vie, le mouvement pour témoigner de ce jour exceptionnel.

Le jour rêvé est proche.
Tout s’est bien déroulé jusque-là. Son futur est un copain de son frère aîné, elle le connaît depuis longtemps, il est du village d’à côté, il est gentil avec elle. Elle sait comment se passeront les cérémonies à la mairie, à l’église, ce qu’il faudra dire et faire pour être dans les règles. La robe ressemble presque à celles de ses rêves, le repas sera servi dans la cour de la ferme de sa belle-famille, les musiciens sont prévus, la fête devrait être belle. Tu verras, ce sera le plus beau jour de ta vie !

Le plus beau jour ? Mais…elle n’a que dix-neuf ans. Le lendemain sera-t-il moins beau ? Et les jours d’après ? Le rêve de la noce a pris tout l’espace, occultant la pensée de l’après. Tout en découlait, tout allait de soi sans doute, comme une évidence, pour laquelle on ne pose pas de question.

La robe est étalée sur le lit, avec précaution, pour ne pas être froissée. Blanche essaie d’imaginer l’autre chambre la nuit des noces, les gestes à faire ou ne pas faire, la robe dégrafée, l’étoffe tombée au sol, il faudra l’enjamber pour ne pas l’abîmer. Et puis le scénario, trop romantique, s’interrompt, les images deviennent floues, son ventre se serre. Ils se sont embrassés, caressés… L’idée générale, elle la connaît. Mais plus précisément, comment ouvrir cette porte vers l’inconnu ? Sa mère lui aurait dit peut-être, mais Blanche était trop petite quand elle est partie, la laissant seule dans cet univers d’hommes. Sa grand-mère ne lui a rien enseigné de ce genre. Les amies, elle ne leur a pas demandé, de peur d’être moquée… et peut-être n’en savaient-elles pas vraiment davantage.

Il faut qu’elle sache avant de dire oui. Mais à qui demander ?

Texte de Rosine LEFEBVRE lu par Lina MAMOUN

Sources documentaires :